INVACLIM - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

INVACLIM

Changement climatique et espèces invasives en Bourgogne Franche Comté.

LoGoInvaBleuF
Echenon (21170). lieux de pêches des populations de gammares étudiées. Crédit Photo : julien Thibert

Le contexte

Un problème majeur en biologie de la conservation et management de la vie sauvage est de comprendre dans quelle mesure les organismes vivants peuvent modifier leurs réponses comportementales par rapport aux changements globaux et comment ces modifications comportementales peuvent affecter les agro et éco-systèmes.

Une préoccupation plus récente est que le changement climatique pourrait en fait exacerber la propagation et l’impact des espèces envahissantes aux dépens des espèces indigènes. Cela est particulièrement vrai des espèces invertébrées invasives dans le contexte du changement climatique. En raison de leur capacité limitée, tout comme les ectothermes, à réguler leur température corporelle en s’affranchissant de la température ambiante, les variations de température de leur environnement peuvent influer grandement sur les invertébrés. Dans ce contexte, les différences dans la capacité des espèces invertébrées (invasives et indigènes) à ajuster des comportements tels que la recherche de nourriture, l’accouplement, l’activité générale ou la réponse au risque de prédation en relation avec le changement de température peuvent avoir des conséquences importantes sur leur environnement et leur coexistence. En effet, plusieurs études ont montré que des températures de plus en plus basses ou élevées peuvent induire chez les invertébrés une série de réponses comportementales et physiologiques affectant la sélection de l’habitat, les capacités de recherche alimentaire ou le succès reproducteur.

Comme d’autres régions d’Europe, la Bourgogne Franche Comté est exposée au changement climatique et aux invasions biologiques. Les deux phénomènes constituent des menaces majeures bien connues pour la biodiversité, mais jusqu’à présent,  peu d’attention a été accordée à leurs interactions en Bourgogne Franche Comté. Cependant, le changement climatique peut modifier plusieurs aspects des invasions d’espèces, tels que la vulnérabilité des écosystèmes à envahir, le potentiel des espèces à se propager et à envahir de nouveaux habitats et les effets écologiques ultérieurs des envahisseurs. Il a été récemment démontré qu’une augmentation de l’amplitude de variation de la température présente un risque plus grand pour les espèces que le réchauffement climatique en lui-même.

Dans ce contexte, nous avons l’intention de développer un projet de recherche visant à mesurer l’influence du changement climatique et de la variabilité de la température sur le comportement et l’impact écologique de deux espèces invasives d’invertébrés en Bourgogne Franche-Comté, en relation directe avec la protection des cultures et les services écosystémiques.

La région Bourgogne-Franche-Comté couvre environ 48 000 km² et se caractérise par diverses utilisations des sols, notamment des terres cultivées et des forêts. Il y a des preuves du réchauffement climatique en Bourgogne Franche Comté au cours des dernières décennies et, selon les scénarios disponibles, le climat futur de cette région (2031 – 2040) devrait être plus chaud et légèrement sec en été et plus chaud en hiver. Les températures journalières et nocturnes en particulier devraient augmenter dans toute la région, avec une augmentation globale d’environ + 2°C. Cependant, le réchauffement devrait être plus intense en été qu’en hiver et les températures maximales devraient augmenter davantage pendant le jour que pendant la nuit. Bien que ce changement de température ambiante puisse affecter les espèces invertébrées invasives d’une manière qui puisse augmenter ou réduire leur impact sur les systèmes agro-écologiques et écologiques, notre connaissance des conséquences écologiques de l’interaction entre le changement climatique et les invasions biologiques en Bourgogne doit être améliorée afin de pouvoir faire des prévisions précises.

Le cas de deux espèces invasives invertébrées en Bourgogne Franche Comté

Du fait de ces contextes économique et écologique, deux écosystèmes ont été choisis avec chacun une espèce endémique et une espèce invasive, utilisées comme modèles biologiques en laboratoire.

Un premier modèle d’espèce invasive invertébrée concernant particulièrement la Bourgogne est la mouche Drosophila suzukii. Cette espèce de mouche originaire d’Asie connait un succès invasif et a été observée pour la première fois en Italie et en Amérique du Nord en 2008. Elle s’est très vite étendue aux régions septentrionales de l’Europe et a déjà atteint l’Écosse et le Danemark. Contrairement à la plupart des espèces de drosophiles frugivores, comme l’espèce native Drosophila melangaster, qui exploitent des fruits en décomposition pour l’alimentation, l’accouplement et la ponte, les femelles de D.suzukii percent généralement la peau de fruits mûrs et en bonne santé pour y insérer des œufs. Cela occasionne des dommages considérables aux cultures bourguignonnes telles que les vignobles et aux fruits rouges comme les cerises, les framboises et d’autres types de baies, avec des pertes potentielles pouvant aller jusqu’à plusieurs millions d’euros.

Tête de femelle Drosophila Suzukii. Crédit photo : Julien Thibert
Mâle Gammarus Roeseli. Crédit photo : Julien Thibert

Un deuxième modèle comprend l’espèce d’amphipodes de crustacés envahissante Gammarus roeseli. Les amphipodes sont très répandus et sont considérés comme des « espèces clés » dans les habitats européens d’eau douce. Ils sont particulièrement abondants dans les rivières et les ruisseaux des régions tempérées, où la matière organique de source terrestre (principalement des feuilles et des brindilles d’arbustes et d’arbres riverains) est généralement la principale source de carbone et d’énergie. En effet, la décomposition de la litière de feuilles par les amphipodes est un processus essentiel à la fois pour la santé des écosystèmes des cours d’eau et pour la qualité de l’eau. Les amphipodes contribuent au maintien de réseaux alimentaires aquatiques divers et sains grâce à leur activité de déchiquetage, qui se traduit par une fragmentation des feuilles et la production de pellets fécaux qui contribuent au transfert d’éléments nutritifs dans la production secondaire. En Bourgogne, G.roeseli coexiste avec l’amphipode indigène G.fossarum. Plusieurs cours d’eau abritent des populations mixtes de gammaridés, tandis que d’autres ne contiennent qu’une seule espèce. G.roeseli a été introduit pour la première fois dans la région des Balkans et est maintenant largement répandu dans les voies navigables d’Europe occidentale, où il habite habituellement le cours inférieur des cours d’eau à faible courant.

Malgré de légères différences dans les préférences de microhabitat et la vulnérabilité à l’infection par les parasites acanthocéphales, les deux espèces présentent un chevauchement de niche élevé. La coexistence des deux espèces dans des habitats mieux adaptés aux espèces indigènes tend à indiquer l’existence de facteurs atténuants favorisant l’invasion et le maintien de G. roeseli sur le territoire des gammaridés indigènes. Il est intéressant de noter que les résultats d’une étude de simulation suggèrent que les températures plus élevées devraient favoriser G.roeseli par rapport à G.fossarum et il existe certaines preuves que l’on a tendance à trouver G.roeseli en Bourgogne dans des eaux plus chaudes que G.pulex (autre espèce native). Cependant, l’influence précise du changement climatique sur la coexistence des deux espèces en Bourgogne ou ailleurs n’a pas encore été documentée. Cela présente un intérêt particulier car des preuves récentes suggèrent que l’invasion et le déplacement subséquent d’espèces d’amphipodes indigènes par des espèces invasives sont susceptibles de modifier le fonctionnement de l’écosystème.

Le projet

D’un point de vue appliqué, une des ambitions du projet est de fournir des informations sur le comportement des deux espèces invasives face aux changements climatiques en Bourgogne Franche Comté. Les résultats obtenus vont indiquer si ces espèces sont sensibles à une augmentation de la température moyenne, à une augmentation des amplitudes thermiques, ou les deux. Ils permettront d’élaborer des scénarios à venir, à partir de modèles mathématiques,  et de développer des stratégies afin de limiter les effets négatifs d’une augmentation des températures en Bourgogne Franche Comté.

D’un point de vue fondamental, le projet ambitionne d’obtenir des connaissances sur la pertinence des variations inter-individuelles de réponses comportementales des espèces invasives lors des prédictions sur les effets potentiels du changement climatique, à la fois sur les écosystèmes et les agrosystèmes.

En raison de son importance en tant que nuisible agricole et de sa récente invasion en Amérique du Nord et en Europe, les recherches sur D.suzukii ont été assez intensives depuis 2009. Toutefois, seules quelques études ont abordé la dynamique de la population, le comportement et l’écologie de l’espèce en relation avec le changement climatique. La plupart de ces études ont jusqu’à présent porté sur la résistance au froid et à la survie en hiver ou sur les schémas de répartition et les tendances démographiques projetées. Le projet INVACLIM est donc susceptible de combler une lacune importante dans notre connaissance de l’effet du changement climatique et de la fluctuation de la température sur le comportement, la physiologie et les traits de vie de D.suzukii, et de fournir de nouvelles informations sur l’aggravation potentielle de son impact écologique avec le changement environnemental.

Par rapport à D.suzukii, il existe relativement peu d’informations sur les effets du changement climatique sur l’impact écologique de G.roeseli. Une seule étude récente s’est concentrée sur l’effet de la fluctuation de la température sur la physiologie de G.roeseli, en prenant en compte le taux métabolique et le stress oxydatif chez les embryons. Au meilleur de nos connaissances, aucune étude à ce jour n’a abordé l’influence de l’augmentation de la température et de la variabilité de la température sur les traits de comportement et l’impact écologique de G.roeseli.

Des augmentations de la fréquence, de la gravité et de la durée des températures extrêmes sont attendues dans les 50 prochaines années. Une grande partie de la recherche sur les effets du changement climatique sur le comportement des espèces envahissantes et indigènes s’est concentrée sur les effets du changement de température moyenne. C’est également vrai de D.suzukii et de G.roeseli, pour lesquels l’effet de la température a été évalué essentiellement en exposant des individus à une plage de températures fixes. Cependant, des travaux récents suggèrent que les changements dans la variation de la température auront des effets disproportionnellement plus importants sur les espèces que les changements dans la moyenne.

La grande originalité du présent projet est de traiter l’effet de l’augmentation de la température et de la variabilité de la température sur les caractéristiques comportementales et physiologiques.

En outre, la plupart des études sur D.suzukii et G.roeseli ont examiné l’effet de la température sur un seul comportement ou sur quelques traits comportementaux, physiologiques ou traits d’histoire de vie à la fois.

Le projet IVACLIM évaluera simultanément une série de traits comportementaux, physiologiques et traits d’histoire de vie, permettant ainsi de comparer l’ampleur de l’effet entre les traits au sein d’une même population. De manière importante, il fournira des informations sur l’effet de l’augmentation de la température et de la variabilité de la température sur la recherche de nourriture, et donc sur l’impact écologique, de D.suzukii et de G.roeseli.

Enfin, seules quelques études, à ce jour, ont expérimenté l’effet de l’acclimatation à une augmentation de la température sur la compétition entre espèces indigènes et envahissantes, mais sans prendre en compte de variations de la température. Ce projet sera donc à la fois opportun et original à cet égard également.

Les 4 espèces seront soumises aux mêmes régimes de température variables ou fixes durant la phase de développement (D. suzukii et D. melanogaster) ou d’acclimatation (G. roeseli et G. fossarum), et ensuite seront observés les effets des traitements sur les traits biologiques (comportement, physiologiques, traits d’histoire de vie).

L’originalité de ce projet sera renforcée par la dimension multidisciplinaire du consortium de recherche. En effet, huit chercheurs et 4 personnels techniques appartenant à trois unités de recherche différentes (UMR CNRS / UBFC 6282 Biogéosciences, UMR CNRS / UBFC 6249 Chronoenvironnement, UMR CNRS 6265 / INRA 1324 / AgroSup / UBFC Centre des Sciences du Gout et de l’Alimentation), vont être impliqués dans le projet. Ils apporteront des compétences différentes et complémentaires, notamment en physiologie, éthologie, écologie comportementale, neurosciences, dynamique des populations et écologie des communautés.

Intervenants

Contacts

Frank CEZILLY
Initiateur et porteur du projet
frank.cezilly@u-bourgogne.fr

Julien THIBERT
julien.thibert@u-bourgogne.fr

cover-r4x3w1000-57f5648fc1cbe-le-logo-du-cnrs
INRA_logo
logo uB filet
logo biogéosciences