Fabien Roussel, communiste heureux ? - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Fabien Roussel, communiste heureux ?

La campagne électorale de Fabien Roussel renoue avec dix ans d’absence de la culture politique communiste au sein des élections présidentielles. Sur les 10 scrutins depuis 1965, le Parti communiste français (PCF) a été présent six fois (1969, 1981, 1988, 1995, 2002 et 2007) et quatre fois il a soutenu un candidat issu d’autres formations de la gauche (François Mitterrand en 1965 et 1974 ; Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017).

Pourtant certains annonçaient la mort du PCF, depuis la chute du Bloc de l’Est en 1989-1991 et surtout au vu des résultats catastrophiques de 2002-2007. Les candidatures de Robert Hue et Marie-George Buffet n’avaient récolté respectivement que 960 480 voix (3,37 % des suffrages exprimés), puis 707 268 voix (1,93 % des suffrages exprimés) marquant le déclin historique de l’organisation communiste entamé en 1981.

Ce parti constituait auparavant la première force politique à gauche depuis 1945 et même la première force politique du pays. Mais, comme nous le rappelons dans notre ouvrage Le Parti rouge : Une histoire du PCF il fut mis au ban du gouvernement avec la Guerre froide (plus de 25 % des suffrages).

Aujourd’hui, le PCF ne compte plus que 44 000 cotisants contre 500 000 adhérents en 1947, à son apogée. Cependant la mobilisation des militants, des réseaux d’élus locaux, lors des réunions et meetings comme celui de Marseille participent de ce retour de la culture communiste.

Alors que le PCF n’était plus qu’une force d’appoint, voire supplétive de Jean-Luc Mélenchon lors des deux derniers scrutins, il tente de rompre et de s’imposer par le biais d’une communication singulière. Le ton de la campagne mise sur « l’espoir » et la « joie » qui sous-tend la présence réaffirmée du PCF. Ces deux termes relèvent d’éléments de langage bien étudiés, des marqueurs forts destinés à « ré-enchanter le monde » et s’opposant facilement à une vision politique à droite fondée sur un repli nationaliste identitaire et xénophobe, voire décliniste.

C’est dans ce contexte que le candidat Fabien Roussel tente de recycler et remettre au goût du XXIᵉ siècle les idées phares du parti communiste d’antan.

« La France des jours heureux »

Dans un premier temps, Fabien Roussel est arrivé à la tête du PCF, en tant que secrétaire national en 2018, pour lui permettre d’être à nouveau candidat, refusant toute subordination à Jean-Luc Mélenchon, réaffirmant avec force et conviction son identité politique.

Au cours des derniers votes des militants communistes les 7 et 9 mai 2021, le choix d’une candidature communiste a progressé dans la majorité des fédérations (à l’exception de la Seine-Saint-Denis restant pour un rassemblement avec Jean-Luc Mélenchon) surtout au sein des zones d’implantation traditionnelle du PCF dans le monde rural (Cher, Haute-Vienne, Nièvre, Dordogne, et Sarthe) ou dans les zones de la France industrielle (Bouches-du-Rhône, Gard, Nord, Pas-de-Calais et Seine-Maritime).

Le PCF, qui vient de fêter de manière discrète son centenaire en 2020, du fait de la pandémie, engage une campagne avec pour slogan, « La France des jours heureux », qui fait écho non seulement aux mobilisations sociales des années récentes (contre la remise en cause de l’État providence et des grandes réformes nées de la Résistance, la Sécurité sociale, les retraites, etc.), mais aussi au Front populaire et surtout au Consel national de la Résistance dont le programme était intitulé « Les Jours Heureux ».

Ainsi les « grandes heures » du parti sont mises en avant, pour revigorer les forces militantes et réveiller l’espoir. Cette nostalgie assumée se lit, s’entend et se manifeste tout au long de la récente campagne électorale. Même si la mise en scène insiste plus sur la fibre nationale et républicaine, occultant et on peut le comprendre l’époque du socialisme dit « réel » et du contrôle exercé pendant longtemps par l’URSS.

Incarnant la « gauche populaire », il n’y a aucun tabou dans les sujets abordés, une façon de rompre avec la gauche de gouvernement.

Remue-ménage à gauche

Fabien Roussel à l’instar d’autres candidats, s’engouffre lui aussi dans la polémique. Ainsi alors qu’il participait sur France 3 à l’émission « Dimanche en politique » (9 janvier 2022), il déclare :

« Un bon vin, une bonne viande et un bon fromage, c’est la gastronomie française […] Et le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ».

D’aucuns ont fustigé la France des terroirs et «son relent rance», d’autres à gauche ont regretté cette apologie de la consommation d’alcool, quand d’autres encore plaidaient pour une alimentation végétarienne.

En octobre, 2021, il prenait la défense de la chasse lors d’un entretien sur France-Info rappelant que les chasseurs participent aussi « à la préservation de notre environnement ».

Le peuple et son « bien-être » sont alors au cœur des préoccupations de son discours, même si les contours de cette entité populaire semblent flous et peu définis, évitant la référence exclusive au « parti de la classe ouvrière ».

Une République sociale, émancipatrice et laïque

Cette boussole politique est fondée sur une conception d’une République sociale, émancipatrice et laïque. Cet héritage fort du PCF s’inscrit non seulement dans l’histoire longue de la République, mais aussi dans son fonctionnement depuis 1790 où la « petite patrie », la commune, incarne aussi la « grande patrie », la nation.

Conscient de cet horizon institutionnel qui structure la vie politique de la République, même la Ve du nom, Roussel réaffirme la liberté de l’artiste, dans la lignée du comité central d’Argenteuil (1966), face au sectarisme religieux en rendant un hommage appuyé aux victimes de Charlie-Hebdo. Il se fait aussi chantre de la laïcité, terrain quelque peu abandonné ces dernières années par une gauche qui préfère l’idée de « démocratie libérale » de type anglo-saxon, à la République.

Surtout en mobilisant la France des villages, des communes, il s’agit pour le candidat Roussel de lutter contre la mise en œuvre d’institutions où les citoyens ne sont plus acteurs de leurs territoires.

« Faire payer les riches » : de Mirabeau à Georges Marchais

Prônant alors la défense du « modèle républicain », Fabien Roussel essaime sa campagne de références appuyées à l’histoire du PCF. Telle sa dénonciation du « mur de l’argent » expression d’Édouard Herriot (1872-1957), le leader du Cartel de la gauche dans les années 1930, également reprise sous le Front populaire. En réifiant l’un des slogans du Front populaire (« faire payer les riches ») en réaffirmant le rôle de l’impôt pour l’intérêt général et les services publics, il s’agit de s’inscrire dans la continuité du PCF, depuis Maurice Thorez jusqu’à Georges Marchais, leader charismatique du PCF des années 1970 et 1980.
Georges Marchais, YouTube.
Lors de son discours de Marseille (6 février 2022), Fabien Roussel a insisté sur « l’argent » :
« Je veux la France des jours heureux parce que nous savons que notre pays est riche, riche de votre travail, riche à milliards. Et je refuse que des millions d’entre nous vivent aussi mal à côté de tant d’argent […] « alors je commence par dire où nous allons prendre l’argent. »
Il propose ainsi de rétablir et tripler l’ISF, de rendre l’impôt plus progressif, de « priver les fraudeurs fiscaux de leurs droits civiques ». On retrouve ici la référence au mythe des « 200 familles » « saignant » la France et le besoin de redistribution des richesses comme évoqué par Mirabeau déjà le 26 septembre 1789. Fabien Roussel, maniant l’humour, se fait ainsi l’écho de cette tradition :
« Le ruissellement de Macron, c’est terminé, ce que je vous propose pour 2022, c’est le “ roussellement” pour irriguer l’économie réelle, lutter contre la vie chère. » (discours de Fabien Roussel, Marseille, 6 février 2022)
La Vie est à nous a été commandé par le Parti communiste pour les élections législatives du printemps 1936. Le film oppose d’un côté la menace fasciste et la politique de crise organisée au bénéfice des « 200 familles », et de l’autre l’espoir incarné par le Parti communiste français.

La « main tendue »

Le registre du Front populaire est à nouveau remobilisé avec une référence implicite au discours de la « main tendue » de Maurice Thorez (17 avril 1936)
« Quels qu’aient été vos choix, vous êtes ici les bienvenus pour peu que nous partagions ensemble l’ambition de renouer avec la France des jours heureux. »
Discours radiodiffusé de Maurice Thorez, 1936 (INA).
Il s’agit alors de retrouver l’électorat populaire, qui s’abstient ou qui a pu quitter les rivages des gauches pour l’extrême droite ou les droites. C’est aussi l’occasion pour le candidat de se prononcer sur la diversité de la France, renouant avec un discours parfois régionaliste, ou prenant en compte les spécificités des territoires ruraux, des anciennes zones industrielles ou des territoires d’outre-mer :
« Je suis du Nord, un Ch’ti, je vis dans le bassin minier, tellement meurtri par les fermetures d’usines, toutes ces friches industrielles qui laissent derrière elles leur cortège de chômage et de pauvreté. »
Le candidat Fabien Roussel promet d’arrêter « toutes les délocalisations pour à chaque fois trouver des solutions », cherchant à renouer avec une dimension sociale et non uniquement sociétale, fondée sur « de nouveaux droits au monde du travail ». Le registre du candidat communiste renoue avec une vision émancipatrice de la République, pour autant, la fibre mémorielle des « Jours heureux » peut-elle à elle seule constituer un horizon commun ?

La MSH Dijon est labellisée pour ses collections numériques par la BNF (Collex-Perséee) et met en ligne gratuitement les archives et sources documentaires du PCF en lien avec ses programmes de recherches.

Jean Vigreux, Historien, Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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