Emmanuel Macron, président candidat rassembleur et aseptisé - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Emmanuel Macron, président candidat rassembleur et aseptisé

Il s’est voulu président du « en même temps », mais il n’avait certainement pas prévu le scénario ukrainien.

Équilibre difficile à tenir par un seul et même homme : président candidat, Emmanuel Macron doit désormais en tant que chef d’État faire face à une guerre menaçant la démocratie et les valeurs européennes ; en tant que candidat, il s’oblige à ne pas négliger la confrontation démocratique interne et à ne pas écraser la concurrence sous le poids des circonstances.

D’où cette Lettre aux Français, avec un convenu qui confirme l’attendu.

La déclaration de candidature était un passage formellement obligé, la lettre en constitue une manière de service minimum.

À fleuret moucheté

La rupture de ton est manifeste avec l’intervention du 2 mars sur l’Ukraine. Toute dimension tragique est soigneusement écartée : la lettre vise avant tout à rehausser la capacité de la France, via son président, à affronter les dangers et les crises. Si l’ombre de la tragédie rôde autour du propos, elle reste voilée par le choix d’un vocabulaire aseptisé, reprenant les fondamentaux du genre et empruntant à ses adversaires leurs termes favoris : fraternité, lutte contre les inégalités, sécurité, inquiétude pour l’avenir, dignité, travail, courage. On va même jusqu’à capter le terme « reconquête »…

L’ensemble est baigné dans une atmosphère de modestie teintée d’humilité et de lucidité, qui ouvre la fenêtre à une discrète autocritique. Tout est fait pour éviter une provocation directe des adversaires. Certes, le président multiplie les incursions sur les terrains des concurrents, plante des banderilles ici et là. Mais on n’attaque qu’à fleuret moucheté, avec une soutenable légèreté, glissant parfois jusqu’au facilités des formules de communicants : « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance. »

Comme le choix répété du « nous » entend le surligner, l’heure est au rassemblement, et non pas à la division ou à la dispersion. Certes, ce thème de la « France unie » est devenu un classique pour un président en fonction souhaitant être réélu. Les circonstances en font plus que jamais un passage obligé.

Au candidat décomplexé de 2017 prônant la rupture, voire la révolution, a succédé, par la force du contexte, un président plaidant sagement la continuité, nécessaire par gros temps. Sur fond d’inquiétude causée par le chaos possible, Emmanuel Macron esquisse d’une plume délibérément modérée sa capacité à incarner l’unité nationale.

Un message qui s’adresse aux Français par-dessus la tête des autres candidats. Il n’en reste pas moins que, suspendue qu’elle est à l’évolution de la situation en Ukraine, cette déclaration ne renseigne pas sur ce que sera son engagement dans la campagne. Il est candidat. Il participera. Mais avant tout, il présidera. Ses concurrents n’ont toujours pas d’adversaire.

Vidéo savamment cadrée

Contraint par les circonstances, Emmanuel Macron entretient habilement avec ses compétiteurs une étrange partie de cache-cache. Condamnés à un chiasme permanent, ceux-ci s’épuisent voir dans le président un vrai/faux candidat, et dans le candidat un faux/vrai président. Toute la campagne semble dès lors appelée à se dérouler dans une dialectique de l’être et du paraître : être ce que l’on est ou paraître ce qu’on veut être, là est la question.

Les lieux et les moments des confrontations qui ne peuvent manquer d’advenir restent dans la pénombre. Certes, elles auront lieu, démocratie oblige, et Emmanuel Macron l’a promis. Mais elles seront le plus souvent indirectes et médiées. Le jour même de la parution de la lettre, le néo-candidat a d’ailleurs tenu à diffuser via sa chaîne YouTube une vidéo savamment cadrée : un peu plus de quatre minutes, où il est saisi sur son lieu de travail (l’Élysée), mais veste tombée et avec la simplicité du contact qui sied à tout candidat.

Les circonstances aidant, dans cet espace-temps limité à quelques courtes semaines, les réseaux sociaux, répercutés par les chaînes d’information en continu, seront sans aucun doute l’arène principale du débat, donnant l’image d’une guérilla entretenue.

On ne choisit pas toujours le cadre du combat, mais il faut savoir se servir du terrain. Et la Lettre aux Français en est une habile illustration. Point besoin pour Emmanuel Macron d’énoncer longuement un programme ni d’assumer une vraie campagne. Il a son bilan et, depuis six mois, les promesses qu’il égrène sont autant de petits cailloux blancs : sécurité, santé, grand-âge, éducation… Le moment venu, il suffira de les rassembler dans la dernière ligne droite.

Aux antipodes de 2017

Nous voici donc bien loin de l’élection de 2017. Symétriquement à l’opposé. Alors, un jeune candidat audacieux, s’appuyant sur une méthode de combat originale, partait victorieusement à l’assaut des appareils politiques. Il se déclarait porteur d’une promesse de gouverner autrement, proposait de substituer au vieux monde politique usé par son impuissance, l’espoir d’une révolution fière et conquérante.

La campagne, voulue comme une transgression du traditionnel clivage droite/gauche, s’afficha longue et riche. La victoire fulgurante fut totale. Droite et gauche de gouvernement volèrent en éclats. Chassés du pouvoir, vivant leur défaite comme une usurpation, les vieux partis ne surent ou ne purent s’en remettre. Incapables de se positionner clairement par rapport au nouveau Président, hésitant entre le rejet complet et le compromis constructif, ils se sont montrés impuissants à construire une alternative et à se rassembler derrière de nouveaux leaders. Et donc à opposer un projet crédible.

Le résultat est là : un paysage politique dévasté, une extrême-droite suractivée (à plus de 30 %), un parti socialiste parti aux abysses, Les Républicains déchirés entre leur tropisme centriste et leurs vieux démons nationalistes, une participation annoncée en berne…

Le chemin de campagne d’Emmanuel Macron s’en trouve tout tracé : laisser ses opposants se disputer les fruits amers de leurs divisions, et affirmer son image de rassembleur dans un pays fracturé, en proie au doute et à l’inquiétude. C’est qu’il ne s’agit plus de monter à l’assaut d’une citadelle, mais d’apparaître comme le gardien ferme et rassurant de la maison qu’on occupe. Nul besoin d’avancer une forte artillerie. Il suffit d’ouvrir largement les ailes pour accueillir les soutiens venus des différents horizons. Seul le « en même temps » subsiste. Il change toutefois de sens : il voulait dire agir à gauche et à droite ; il signifie aujourd’hui réunir, sur tous les fronts.

Dès lors, on ne saurait s’étonner que la Lettre aux Français n’en dise pas plus. C’est dans ses silences qu’elle parle le plus fort.

Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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