Faire du tourisme vert et nourrir les animaux : quels risques pour notre santé… et la leur ? - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Faire du tourisme vert et nourrir les animaux : quels risques pour notre santé… et la leur ?

Observer de près la faune sauvage, s’approcher d’animaux que l’on ne voit habituellement que dans des documentaires… De nombreux sites touristiques proposent aux visiteurs des excursions leur permettant d’entrer en contact avec des animaux sauvages.

Pour attirer des espèces qui, autrement, ne seraient que très difficilement et très aléatoirement observées, souvent des points de nourrissage sont créés. Si elles satisfont un besoin profond d’altérité, la concentration artificielle en espèces et l’abondance d’individus au contact ou à proximité des humains qui résulte de ce marché touristique d’espèces « prêtes à voir » ne sont cependant pas sans danger, pour les touristes comme pour les espèces observées.

Afin de bien vivre cette situation particulière, il est donc important d’acquérir le savoir-vivre permettant d’en éliminer tant que faire se peut les dangers, tout en gardant un maximum des bonheurs escomptés.

Ce savoir-vivre s’applique aussi aux espèces sauvages que nous côtoyons dans des endroits plus communs, telles que nos villes, colonisées depuis quelques années par des animaux inattendus, certains de taille modeste ou moyenne (ragondin, castor, renard, sanglier, etc.) et d’autres beaucoup plus impressionnants, tels qu’ours, puma ou léopard

Des microbes dangereux pour l’être humain

Les risques encourus à attirer de grands carnivores tels que des ours ou de grands félins, ou encore des animaux tels que des éléphants sur des points d’eau est évident. Des accidents graves, parfois mortels, ont lieu tous les ans sur pratiquement tous les continents, le plus souvent liés à l’inconscience de touristes ou de citadins peu avertis du comportement de ces espèces dans le monde réel, et des précautions à prendre pour les observer. Mais il existe aussi des risques plus subtils.

Il ne faut pas oublier que si les touristes viennent observer des espèces animales qui symbolisent la richesse de la biodiversité de notre planète, lesdites espèces sont elles-mêmes porteuses d’une importante diversité microbienne. Or, si la plupart des microbes sont nos alliés et sont essentiels au fonctionnement des écosystèmes, une fraction minime de quelques milliers d’entre eux sont potentiellement pathogènes.

La visite touristique de grottes où séjournent des centaines de milliers de chauves-souris, sur le continent sud-américain par exemple, pose la question de la transmission de leurs pathogènes aux humains, non seulement directement, mais aussi par aérosols ou via les immenses couches de guano déposées que foulent les visiteurs.

C’est le cas de l’histoplasmose, une maladie causée par un champignon ou, sur d’autres continents, des virus Nipah et Marburg. On compte également au moins 14 « espèces » de virus de la rage (virus rabiques), la plupart pouvant affecter les chauves-souris : au Texas, dans une grotte habitée par 110 millions de chauves-souris, où circule un de ces virus, deux cas d’infection de spéléologues via une transmission par aérosol ont été documentés.

Par ailleurs, dans les villes et sites touristiques d’Amérique du Sud et d’Asie, la proximité de la population humaine avec des primates non humains, macaques et tamarins principalement, conduit à des dizaines de morsures chaque année. Or ces primates peuvent être porteurs du virus de la rage « classique », hérité de leur contacts avec des canidés, ce qui oblige les personnes non-vaccinées à suivre une prophylaxie post-exposition complète contre cette maladie.

L’existence de ces microbes pathogènes pour l’être humain, connus ou encore inconnus, justifie donc d’adopter des comportements d’évitement permettant de minimiser les risques d’exposition.

Mais si les animaux peuvent contaminer l’être humain, l’inverse est également vrai.

Les humains sont aussi source d’infection

Dans le parc national de Taï, en Côte d’Ivoire, les études ont montré non seulement l’existence d’agents pathogènes présents naturellement chez les chimpanzés (virus lymphotrophique T, virus foamy simien, variole du singe) et dans leur habitat (virus Ebola ou bactérie Bacillus cereus biovar anthracis, responsable d’une forme d’anthrax, une grave maladie infectieuse), mais aussi de pathogènes introduits par les humains, tels que le virus respiratoire syncytial humain (HRSV) et le métapneumovirus humain (HMPV), qui peuvent eux-mêmes contaminer les chimpanzés.

À partir de 1992, un système de gestion des déchets et de quarantaine des scientifiques étudiants les chimpanzés et des visiteurs a été mis en place. Pourtant, depuis 1999, au moins six épidémies majeures de maladies respiratoires d’origine humaine, avec des pertes allant jusqu’à 19 % des communautés de chimpanzés ont été observées.

Photo en gros plan d’un gorille des montagnes (photo prise au Rwanda).
Des mesures pour protéger les gorilles des montagnes du Covid-19 ont été prises en 2020. Bob Brewer / Unsplash

La pandémie de COVID-19 chez les humains a justifié le renforcement de tels types de « distanciation » avec les gorilles de montagne, en République démocratique du Congo, au Rwanda et en Ouganda. Fin mars 2020, tout le tourisme lié aux gorilles avait été suspendu, et des protocoles stricts ont été ensuite mis en place avant réouverture : port obligatoire d’un masque facial et augmentation de la distance minimale avec les animaux, notamment.

Les contaminations par certains pathogènes peuvent donc se faire de l’animal à l’humain ou de l’humain à l’animal. Mais pour certains microbes qui sont à l’aise dans plusieurs espèces, le sens de contamination peut s’avérer plus difficile à déterminer. Il peut être à double sens, voire passer par d’autres animaux.

Une circulation à sens multiples

Le sens de circulation des microbes n’est pas toujours facile à établir, et le système écologique complet, incluant sa composante humaine, peut être dans son entier considéré comme un système privilégié de transmission.

Dans le nord-ouest du Yunnan en Chine, sur un site d’écotourisme, un groupe de Rhinopithèques de Biet, un singe vivant en haute altitude, est régulièrement nourri à proximité du village. Nous avons identifié 13 espèces ou lignées d’amibes dans leurs fèces. Ces amibes, qui infectent aussi les humains et leurs animaux domestiques (porcs, bovins et poulets) peuvent passer d’une espèce à l’autre. On sait peu de choses de leur pathogénicité, mais elles fournissent un intéressant modèle de transmission.

Nous avons notamment constaté que le pourcentage de crottes infectées chez les singes fréquentant le site de nourrissage était de près de 90 %, alors qu’il n’était que d’un peu plus de 30 % chez ceux qui ne s’y rendaient pas. De plus, l’isolement d’une petite fraction, celle nourrie, de la population sauvage, a abouti à son appauvrissement génétique.

Le nourrissage d’une sous-population de singes à des fins touristiques a donc pour effet conjoint d’augmenter la consanguinité du groupe nourri, sa sensibilité et son exposition aux infections amibiennes.

De façon avisée, sur ce site (et contrairement à d’autres sites du même type situés ailleurs dans le monde), l’observation des singes par les touristes au moment du nourrissage se fait à distance stricte, matérialisée par une corde tendue, et est surveillée par les gardiens. Mais le contact entre animaux domestiques, habitants et singes, direct ou via leurs déjections à proximité des sites de nourrissage, constitue par ailleurs un système qui amplifie considérablement la circulation des amibes.

Et ce type de problème ne se rencontre pas uniquement sur des sites touristiques situés à l’autre bout du monde…

La faune sauvage en ville

La valeur monétaire du pelage du renard roux, encore importante au milieu du XXe siècle, puis l’épidémie de rage sylvatique qui a touché ses populations sur le continent européen ont maintenu le nombre d’individus à des niveaux relativement bas jusqu’au début des années 1980.

Depuis, suite au désintérêt pour la fourrure et à aux campagnes de vaccination qui ont fait reculer la rage (la France en est indemne depuis 2001), les populations de renard ont augmenté. Depuis la fin des années 1990, elles atteignent la capacité d’accueil de leurs écosystèmes. Les renards ont aujourd’hui conquis jusqu’aux villes, où ils trouvent les ressources qui leur sont nécessaires.

Si certains citadins déplorent leurs « incivilités » occasionnelles (ouverture de sacs poubelles, visites de poulaillers, terriers creusés sous les bâtiments, etc.) d’autres sont ravis du voisinage de ce joli petit canidé. Ils le nourrissent même parfois, que ce soit involontairement, quand les renards viennent manger les croquettes destinées au chien ou au chat de la maison, ou volontairement.

Il n’en reste pas moins que cette proximité de fait représente un réel danger vis-à-vis de la transmission d’une maladie parasitaire gravissime pour les humains, l’échinococcose alvéolaire. D’évolution lente (dix ans, voire plus), silencieuse et de pronostic sombre lorsqu’elle est détectée tardivement, cette maladie peut entraîner une insuffisance hépatique parfois mortelle, et nécessiter une greffe de foie dans les cas graves.

Or, une fraction importante de la population de renards peut être porteuse du parasite responsable de la maladie : c’est le cas de plus de 50 % des renards qui vivent aux abords de la ville de Zurich, en Suisse ! Cette fraction d’animaux infectés est d’autant plus grande que les paysages urbains sont riches en espaces verts. Or, les renards contaminés dispersent le parasite via les crottes qu’ils déposent dans les jardins et près des sites de nourrissage.

Dans certains cas, la promiscuité avec leurs congénères peut aussi être problématique pour les animaux eux-mêmes.

Distanciation sociale pour les oiseaux

Qui, surtout en hiver, n’a jamais songé à nourrir les oiseaux ? Fréquente en hiver, cette pratique n’est pas elle-même sans risque, car leur concentration au point de nourrissage peut augmenter la transmission de bactéries, champignons et virus responsables de salmonelloses, aspergilloses, trichomonase, variole aviaire, etc. Or, certains de ces micro-organismes sont aussi pathogènes pour les humains.

Aux États-Unis, il a été démontré que le retrait des mangeoires pour oiseaux réduit considérablement les épidémies de mycoplasmose oculaire chez le roselin familier, une maladie causée par la bactérie Mycoplasma gallisepticum, et que le nettoyage régulier des bains d’oiseaux et des mangeoires prévient également le développement des salmonelles. En 2021, pendant plusieurs mois, plus d’une dizaine d’États américains ont d’ailleurs demandé aux habitants de retirer les mangeoires, les bassins et les autres éléments susceptibles d’attirer les oiseaux sur leurs propriétés, en réponse à une épidémie d’une mystérieuse maladie aviaire. Son origine exacte n’a pas été élucidée, mais c’est bien une forme de « distanciation sociale » chez les oiseaux qui était recherchée.

Dans ce pays, une attention particulière est également portée au virus West Nile ainsi qu’à celui de la grippe aviaire, dont les oiseaux sont porteurs, et qui peuvent se transmettre à l’être humain.

Savoir vivre avec la faune sauvage et ses microbes

On sait aujourd’hui qu’une biodiversité élevée, à tous les niveaux où elle peut être mesurée (génétique, des espèces, des écosystèmes), est garante de la résistance et de l’adaptabilité des écosystèmes aux changements, et donc de l’habitabilité de la terre pour les humains.

Par ailleurs, un grand nombre de recherches ont mis en évidence les effets positifs de la biodiversité sur le bien-être humain ressenti. En Europe, il a notamment été montré que divers indicateurs de la biodiversité (nombre d’espèces d’oiseaux, d’écosystèmes, etc.) sont positivement associés au sentiment de bien-être, voire à la santé elle-même, au même niveau que le revenu des habitants.

Il ne s’agit donc pas d’éliminer tout contact avec la biodiversité, dont il est essentiel que les citoyens perçoivent concrètement la réalité et l’importance. L’entretien de points d’observation d’espèces difficilement accessibles, ou la préservation de la biodiversité urbaine sont autant de manières de se familiariser avec elle.

Il ne faut cependant pas oublier que cette biodiversité inclut aussi celle des micro-organismes, qui constituent 17 % du total de la matière vivante (biomasse) de notre planète. Beaucoup sont des alliés, et une infime minorité seulement représente un réel danger. Tout le défi est de vivre avec eux, tout en profitant des bienfaits matériels et moraux apportés par l’existence même de la diversité du vivant (microbes compris !).
La « part sauvage du monde » si chère à la philosophe Virginie Maris…

Patrick Giraudoux, Professeur émérite d’écologie, Université de Franche-Comté – UBFC; Eve Afonso, Maître de conférences en écologie, Université de Franche-Comté – UBFC et Li Li, Professor of ecology, Yunnan University of Finance and Economics

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.