Cuisiner en famille, un autre apprentissage du goût - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Cuisiner en famille, un autre apprentissage du goût

Dans un contexte où les repas tendent à se déstructurer, où les plats préparés envahissent les rayons et où l’obésité gagne du terrain, comment apprendre aux enfants à bien manger ? Dans L’alimentation à découvert, le sociologue Jean-Pierre Corbeau plaide pour une éducation alimentaire qui dépasse la simple éducation nutritionnelle. Il rappelle aussi que :

« le rôle de la famille, la découverte des goûts par des activités en classe ou des manières de faire et d’agir alimentaires transmises à l’enfant constituent plusieurs dimensions des processus de socialisation liés à l’alimentation ».

Un point sur lequel insistent aussi Nathalie Rigal et Sophie Nicklaus. Dans le même ouvrage, elles notent que, dans l’apprentissage des goûts, les expériences alimentaires, sociales et émotionnelles sont fondamentales. Si l’école a un rôle à jouer comme le souligne le récent Manifeste pour une éducation à l’alimentation partout, pour tous, la transmission des codes et des habitudes alimentaires se joue d’abord au sein de la famille. Au-delà de partager la table, il s’agit également de partager la préparation d’un repas.

Pain et confinement

La crise économique de 2008 s’est accompagnée par une valorisation du « do It Yourself » qui a trouvé un regain avec le confinement, en mars 2020. Les tutos d’activité et de cuisine avec ses enfants se sont alors multipliés et faire son pain est devenu le must de l’activité familiale.

Une étude de Santé Publique France parue en mai 2020 souligne que 37 % des Français ont déclaré cuisiner plus pendant le confinement. En outre,le sondage IFOP pour le programme Fraich’Fantaisy réalisé en octobre 2020 relève que 14 % des Français déclarent cuisiner davantage qu’avant le confinement.

Cette même enquête souligne que 84 % des personnes interrogées, toutes catégories sociales confondues, déclarent cuisiner avec leurs enfants et 22 % au moins une fois par semaine. En outre, un cercle vertueux semble se mettre en place puisque les enfants ayant cuisiné avec leurs parents cuisineraient eux-mêmes davantage avec leur descendance.

Cette étude relève également les sources d’inspiration pour les plats et les recettes avec, dans le trio de tête, les émissions de cuisine, les tutos sur Internet et les recettes qui figurent dans les magazines. À cela s’ajoutent également les blogs, les applications ou bien encore les livres de recettes.

Nouvelles mises en scène

Comme le note Françoise Hache-Bissette, le livre de cuisine s’est considérablement transformé ces 40 dernières années et, dans les écrits portant sur l’éveil au goût des enfants, plusieurs valeurs se sont agrégées : le ludique et l’originalité, la gourmandise et la simplicité. Ce qu’il est intéressant de relever aujourd’hui dans la médiation culinaire, c’est la continuité entre la production de contenus en ligne et la sortie de livres de cuisine.

C’est ainsi qu’une ancienne participante du Meilleur pâtissier en 2015, célèbre émission de M6 a ensuite ouvert une chaîne YouTube, L’atelier de Roxane qui compte désormais plus de 4 millions d’abonnés. Son credo ? Un univers très rose, des recettes familiales, réalisées pour certaines avec sa petite fille face caméra. Elle a ensuite sorti successivement trois ouvrages, où l’on retrouve la tonalité de sa chaîne YouTube, mais aussi des photos de famille.

Le livre de recettes devient alors aussi un objet de mise en scène de soi. Cette cuisine quotidienne qui s’incarne dans une famille idéalisée est aussi la ligne éditoriale développée par la blogueuse Mimi Thorisson entre livres de cuisine et compte Instagram très léché où l’idéal culinaire et l’idéal familial se rencontrent.

Une transmission maternelle ?

Si l’étude IFOP de 2020, parle de l’entité « parents » sans distinguer le père ou la mère, Les cahiers de recherche du CREDOC publiés en 2004 fondent toute leur étude sur la transmission en cuisine autour de « regards croisés filles et mères ». Force est de constater par ailleurs que, dans la mise en scène très contemporaine des réseaux sociaux, c’est bien la figure de la mère qui s’impose dans une forme soit idéalisée et esthétisée soit dans une perspective de partage de trucs et astuces au quotidien.

Dans sa thèse de doctorat soutenue en 2019, Sarah Bastien note d’ailleurs que les femmes restent majoritairement responsables de la cuisine au quotidien et rappelle qu’au début du XXe siècle les femmes apprenaient à cuisiner par la transmission générationnelle mais aussi via les enseignements en Arts ménagers. Dans le cahier de recherche de 2004, la figure de la grand-mère est également convoquée.

La transmission culinaire du quotidien serait alors encore et toujours une affaire de femmes avant tout. Pour autant, développer le faire ensemble, le cuisiner ensemble peut-être un outil d’émancipation et non pas seulement de reproductions des schémas de domination domestique. Alors, cuisinons toutes et tous avec nos enfants pour le plaisir de faire ensemble, de co-exister et d’agir ensemble.

 

Clémentine Hugol-Gential, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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