Comment le secteur audiovisuel mondial a été radicalement bouleversé par le Covid-19 - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Comment le secteur audiovisuel mondial a été radicalement bouleversé par le Covid-19

Un cinéma fermé, à l’été 2020. AFP

« Le Covid-19 a fait perdre 19 milliards d’euros aux cinémas en Europe », titrait le Monde le 22 juin dernier.

Afin de mesurer l’impact du Covid-19 sur l’ensemble des secteurs artistiques et culturels à travers le monde, et tout particulièrement le secteur de l’audiovisuel, nous avons mené une recherche au niveau mondial à la demande de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).

Celui-ci se divise en plusieurs segments : cinéma, télévision, radio, industries de la vidéo et du multimédia, incluant les services de vidéo à la demande (SVOD) ou de télévision en replay. Les premières analyses montrent un renforcement sans précédent des plates-formes mondiales en ligne (Netflix, Amazon Prime Video, Disney Plus, Apple TV Plus ou HBO Max) qui indiquent un changement radical dans la production, la diffusion et la consommation de contenu audiovisuel, imposant ce secteur comme le modèle infrastructurel et économique dominant.

Cependant, l’instabilité liée à la pandémie pourrait relancer la dynamique de concentration dans le secteur de l’audiovisuel en raison de l’action des plates-formes mondiales de streaming.

Le cinéma durement frappé

La pandémie et les confinements ont mis la production et la distribution à l’arrêt et réduit de moitié les recettes des salles de cinéma. En outre, la production de films a dû être annulée ou reportée.

La fermeture massive des cinémas courant 2020 – et en dépit d’une tentative de promotion par la SVOD – a conduit les distributeurs/producteurs à se tourner vers les plates-formes en ligne pour diffuser des films initialement prévus pour la salle, ce qui a perturbé ce modèle économique traditionnel et les circuits de production.

Par exemple, en Chine, les recettes du box-office pour les trois mois de février-avril 2020 ont baissé de 80 % par rapport à la même période en 2019. Une autre source rapporte que plus de 6 000 entreprises liées au cinéma vont mettre la clé sous la porte et que plus de 1 000 cinémas vont fermer définitivement à travers le pays.

Un secteur redynamisé par les plates-formes

Cependant, la nouvelle vague d’expansion des plates-formes numériques a paradoxalement contribué à la croissance du secteur.

L’Inde, qui produisait entre 1 500 et 2 000 films environ par an (en 2016) illustre bien ce phénomène.

Alors que la pandémie a entraîné la fermeture des salles de cinéma, le marché indien du streaming devrait connaître une croissance de 31 % entre 2019 et 2024.

Les effets à long terme de la pandémie sur le développement du secteur restent flous et dépendront très probablement des mesures politiques prises pour faire face à la nouvelle situation normale des marchés audiovisuels. Ce qui est certain, c’est que les effets de la pandémie ne disparaîtront pas avec la simple reprise des activités pré-pandémie de production traditionnelle.

La diversité des programmes en péril

La pandémie a également révélé des problèmes structurels dans le secteur et certains auteurs suggèrent qu’elle pourrait conduire à une crise systémique.

Le rapport de l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) montre ainsi que d’après les données pré-pandémie (de 2014 à 2019), le secteur était déjà en déclin sur la plupart de ses segments. Le taux de croissance annuel n’a représenté que 0,2 % en termes réels. Le marché à la demande (SVOD) a été le principal moteur du secteur et poursuit sur sa lancée, représentant plus de 75 % des recettes supplémentaires en 2016-2020. Ce secteur a aussi gagné de nouvelles parts de marché en Europe.

Selon un rapport de l’OEA, la crise systémique touchera particulièrement les cinémas et les films d’art et d’essai indépendants, qui ont peu de chances de s’en remettre. On s’attend à ce que les cinémas se concentrent davantage sur l’exploitation des superproductions européennes et américaines et que les films d’art et d’essai européens dépendent de plus en plus du financement des grandes plates-formes de SVOD.

De même, le rôle des fournisseurs de services médias dans la production des films pourrait être affecté par les mesures d’austérité post-Covid-19.

Cela pourrait mettre en péril le volume et la diversité des programmes européens (films et séries télévisées), car les programmes financés par la SVOD et les recettes provenant des abonnements en ligne ne compenseraient probablement pas la diminution des investissements des acteurs historiques et le manque d’options de distribution et d’exploitation physiques.

D’un autre côté, certains auteurs estiment que la tendance à la « plateformisation », qui s’est intensifiée en raison de la pandémie, de sorte que les principales plates-formes fournissant des abonnements à la demande ont connu une croissance substantielle au cours des six premiers mois, a eu une incidence positive sur la coopération régionale et la production originale.

Dans le contexte de la pandémie, une telle stratégie a encouragé la création de fonds privés dont ont bénéficié de nombreuses personnes touchées par la pandémie, mais elle a également encouragé la production originale et initié une nouvelle vague de régionalisation des médias.

Les nouveaux leaders du marché

La tendance à la « plateformisation » s’inscrit dans un mouvement plus large qui touche les marchés audiovisuels à l’échelle mondiale. La Covid-19 a massivement accéléré la demande de services audiovisuels dits de contournement ou « Over-The-Top » (OTT) dans le monde entier dont Hulu, Netflix ou Salto sont de bons exemples. Ces services font référence à la distribution de contenu dépendant de l’internet plutôt que des canaux conventionnels tels que la télévision par ondes hertziennes, la télévision par câble ou le satellite direct à domicile.

Les blocages, l’augmentation de la gamme et de la variété des produits, la promotion de contenus localisés et l’augmentation de la connexion des ménages au haut débit fixe de haute qualité ont entraîné une croissance des abonnements OTT de 26 % en 2021 par rapport à l’année précédente. Le modèle économique OTT devient lentement dominant en termes de croissance et sera très probablement le futur leader du secteur audiovisuel.

L’arrivée des services OTT dans les foyers s’est accompagnée d’un phénomène de « cord cutting », c’est-à-dire que les téléspectateurs résilient leurs abonnements aux services audiovisuels classiques (télévision multicanal, câble satellite).

En outre, les données de 2021 suggèrent que la consommation de streaming est restée plus élevée qu’avant la pandémie, ce qui indique que le changement induit par la pandémie restera probablement la nouvelle norme.

Ce phénomène est particulièrement marqué en Amérique latine, région économiquement très fragilisée par pandémie, avec une contraction de 7 % du PIB pour 2020.

Les consommateurs confrontés à l’instabilité financière ont préféré les plates-formes « tout en un » offrant une plus grande variété de contenus renforcée par une production en langues locales, un atout concurrentiel pour les plates-formes.

De nombreuses répercussions sociales

L’importante suspension des activités dans le secteur audiovisuel a durablement frappé les travailleurs du secteur, davantage exposés au chômage.

Ils n’ont pas pu compter sur la sécurité sociale, les congés payés, les soins de santé et les fonds d’aide. Par exemple, en Argentine, selon une étude menée par l’Université métropolitaine de l’éducation et du travail (UMET) et la Fédération internationale des acteurs (FIA), la pandémie de Covid-19 a provoqué une baisse de 58,2 % de l’emploi dans le secteur par rapport à l’année précédente pendant la même période (baisse de 20,9 % en termes généraux de l’emploi total).

De nombreuses autorités nationales ont pris l’initiative d’accorder des allégements aux travailleurs informels et indépendants. Par exemple, la Slovénie a mis en œuvre une série de mesures fiscales, sociales et économiques temporaires peu après l’apparition de la pandémie visant les professionnels du secteur.

Le Centre cinématographique marocain (CCM) a quant à lui alloué 1 million de dirhams (soit près de 95 000 euros) à un fonds d’urgence Covid pour le secteur audiovisuel. Au Portugal, le Bureau de la stratégie, de la planification et de l’évaluation culturelles a alloué un montant de 34,3 millions d’euros à répartir entre différentes lignes de soutien, notamment pour le cinéma et l’audiovisuel.

En dépit de ces mesures souvent temporaires, le secteur reste dans son ensemble relativement fragile et dépendant de la régulation et mainmise des plates-formes.

La Société des auteurs de l’audiovisuel européenne a ainsi récemment appelé à des solutions durables à long terme pour soutenir le secteur audiovisuel, qui devra faire face aux conséquences de la crise dans les années à venir.

 

Marilena Vecco, Coordinatrice Axe de recherche Arts and Cultural Management, Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.