Laurent Larger, pionnier de la cryptographie par chaos - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Laurent Larger, pionnier de la cryptographie par chaos

Laurent Larger / © Patrice Bouillot - La Plume & le Micro
Directeur de l’institut FEMTO-ST porté par UBFC et le CNRS, Laurent Larger a été admis Fellow 2021 indépendamment de deux sociétés savantes internationales, l’Optical Society of America et l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE). Une double distinction qui honore une carrière de recherche dans le domaine de la cryptographie par chaos et du calcul neuromorphique.

Laurent Larger, 53 ans, n’a jamais aimé entrer dans les cases. Après une classe préparatoire à Strasbourg, il entre à l’École normale supérieure de Cachan (aujourd’hui Paris-Saclay), où il passe une licence en sciences de l’ingénieur puis une maîtrise Électronique, énergie électrique et automatismes (EEA) avant d’enchaîner sur un DEA spécialité photonique. « J’ai suivi une formation hybride, résume-t-il, entre sciences de l’ingénieur et physique. » Un parcours à double facette, comme le prouvera, quelques années plus tard, son appartenance à la fois à l’Optical Society of America (OSA) et à l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE). Une carrière académique certes, mais marquée aussi par des liens forts avec le monde de l’entreprise. Laurent Larger est le directeur de FEMTO-ST (Franche-Comté électronique mécanique thermique et optique – sciences et technologies), le plus important institut de recherche de Bourgogne-Franche-Comté avec 750 membres, 324 permanents, 270 chercheurs et enseignants-chercheurs. Porté par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC) – via l’UFC, l’ENSMM et l’UTBM, ce centre de recherche est un véritable un fleuron sur le territoire dans des domaine aussi variés que l’énergie, la mécanique appliquée, les nanosystèmes, l’informatique, l’optique, la robotique, ou la métrologie du temps et des fréquences.

Laurent Larger, natif de Colmar, a grandi à Besançon et a mené ses études à Paris et à Strasbourg. Après son DEA puis un passage par Fribourg et la Forêt noire où il planche sur un capteur haute résolution de rugosité de surfaces sans contact, il revient dans la ville de son enfance pour préparer sa thèse. Un laboratoire de physique de l’université propose en effet un sujet qui l’intéresse, faisant intervenir la théorie du chaos. À l’époque, France Télécom (Orange aujourd’hui) finance ce projet de recherche visant à élaborer un système de cryptographie par chaos. « Le principe de la cryptographie par chaos repose sur l’idée que l’on peut transmettre de l’information via un signal chaotique, avec l’avantage que ce signal complexe sera beaucoup plus difficile à décoder par un pirate qu’un signal traditionnel », explique Laurent Larger, dont les travaux aboutissent au dépôt d’un brevet suivi de la publication de quatre articles dans la presse scientifique. L’un de ses articles faillit être le premier au monde sur le sujet, mais un chercheur américain, Rajarshi Roy, actuellement à l’université du Maryland (top 10 des universités américaines), lui souffle la primeur à quelques semaines près. Le jeune thésard bisontin présenta ses travaux devant lui, lors d’un congrès international à Long Beach (Californie). Les deux hommes se recroiseront souvent, devenant amis. Rajarshi sera même l’un de ses « parrains » à l’OSA, dont Laurent Larger a été élevé au grade le plus haut de Fellow en octobre 2020.

Sujet émergent à l’époque, la cryptographie par chaos passionne Laurent Larger, qui a découvert la théorie du chaos en lisant l’ouvrage que lui a consacré James Gleick dans les années 1980. Il lui consacre de longues années de recherche avec, à la clé, de véritables succès parfois méconnus. « Nous avons obtenu un record du monde ici à Besançon, en 2009 : un débit de 10 gigabits par seconde sur le réseau à fibre optique de la ville », se rappelle-t-il. Avant cela, en 2004, lors des Jeux olympiques d’Athènes, son équipe réalise, avec un partenaire grec, la première mise en œuvre d’un système de communication reposant sur la cryptographie par chaos « grandeur réelle ». À l’époque, Laurent Larger pousse très loin les recherches sur ce sujet dans le laboratoire qu’il dirige entre 2002 et 2005. Dans ce laboratoire, créé à Metz par GeorgiaTech (université d’Atlanta) et le CNRS, est mené le projet OCCULT (Optical Chaos Communication Using Laser Transmitter), qui débouchera sur la publication d’un article dans la prestigieuse revue Nature en 2005, article qui fait toujours référence dans le domaine de la cryptographie par chaos.

En 2006, changement de cap pour Laurent Larger, de retour à Besançon. Le chercheur s’intéresse désormais aux systèmes dynamiques non linéaires à retard utilisant d’autres comportements que le chaos. « Ces systèmes sont partout dans notre vie quotidienne, explique-t-il. Un des exemples les plus parlants est celui des ralentissements qui se forment parfois sur une autoroute, en générant un mouvement en accordéon de la file de voitures, phénomène expliqué par le temps de retard de la perception visuelle de chaque conducteur. » Les travaux qu’il mène dans le domaine de l’opto-électronique ont concerné aussi des applications radar utilisées par l’armée américaine. L’innovation de la recherche menée par Laurent Larger lui vaut d’ailleurs la nomination en tant que membre junior de l’Institut universitaire de France en 2007.

Ses travaux l’amènent, à partir du début des années 2010, à plancher sur la conception d’un calculateur optique, transposition utilisant la lumière de principes de fonctionnement du cerveau humain. Le projet, initié lors d’un séjour de recherche à Palma de Majorque en 2010, a abouti à la création du premier calculateur optique neuromorphique au monde – cette fois c’est lui qui a grillé la politesse à une équipe concurrente belge.

Enseignant agrégé en physique, Laurent Larger exerça pendant une année à l’IUT de Nîmes avant son recrutement à l’UFC. La transmission des savoirs reste un sujet majeur pour lui. Il a été, pour UBFC, en 2017, le porteur du projet de la Graduate School EIPHI-BFC, mené dans le cadre du troisième programme d’investissement d’avenir (PIA3). « Cette Graduate School a pour vocation de former des ingénieur.e.s et des physicien.ne.s au travers des hautes technologies et de l’interdisciplinarité. L’interdisciplinarité est une clé en matière d’innovation, elle constitue un atout pour former des diplômés ouverts et agiles. »