Hervé Alexandre, chasseur de sulfites - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Hervé Alexandre, chasseur de sulfites

Hervé Alexandre / © Patrice Bouillot - La Plume & le Micro
Enseignant-chercheur à l’Institut universitaire de la vigne et du vin (IUVV) Jules-Guyot de l’université de Bourgogne, Hervé Alexandre est le lauréat de l’Enoforum 2020 pour ses travaux sur des micro-organismes permettant de réduire les sulfites dans le vin.

Quand il doit choisir son sujet d’étude en DEA après sa maîtrise en biochimie et en biologie moléculaire à Toulouse, Hervé Alexandre préfère se pencher sur le vin plutôt que sur la viande bovine. Parce qu’il est un amoureux du vin, qui apprécie particulièrement la syrah, la mondeuse et, bien sûr, le pinot noir. Ce choix l’amène d’abord à Bordeaux, pour son DEA. Puis à Dijon, où, dans le cadre de sa thèse, il étudie les processus à l’œuvre lors de la fermentation alcoolique du raisin. Parallèlement, il obtient son diplôme national d’œnologue. Recruté comme maître de conférences à l’université de Bourgogne (uB) en 1995, il s’expatrie trois ans plus tard en Afrique du Sud pour approfondir ses connaissances en biologie moléculaire : dans les vignes du côté du Cap, il s’intéresse de près aux levures de voile typiques, par exemple, du vin jaune du Jura. Retour en France, avec un détour par le centre de l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE) de Montpellier, pour travailler cette fois sur la transcriptomique des levures, ou comment les levures s’adaptent au stress provoqué par l’éthanol lors de la fermentation. De retour à Dijon en 2002, il obtient son habilitation à diriger des recherches et est nommé professeur. Il consacre ensuite ses recherches, au sein de l’Institut de la vigne et du vin (IUVV) Jules-Guyot de l’uB, à ces phénomènes de stress des levures dont la bonne compréhension est l’une des clés pour obtenir de grands vins. « Cette question a constitué un fil conducteur de mes travaux : comment les micro-organismes présents dans le jus de raisin répondent et s’adaptent au stress provoqué par l’éthanol, des carences en azote ou en vitamines… Sachant que le stress risque de perturber la fermentation et donc in fine la qualité du vin. Peu à peu, mon intérêt s’est étendu à l’ensemble de la flore présente dans le raisin, à l’étude de la communauté microbienne présente dans les moûts. » Le déploiement de techniques physiologiques, biochimiques et moléculaires permet de comprendre qu’un genre de levures en particulier, Saccharomyces, celles-là même qui agissent dans la fabrication de la bière ou du pain, deviennent dominantes lors de la fermentation. Le travail en laboratoire puis l’expérimentation dans des cuveries ont permis ensuite d’isoler des micro-organismes capables d’agir avec les Saccharomyces dans la fermentation de manière à créer des vins de nature différente.

Hervé Alexandre, qui enseigne à l’IUVV les techniques de vinification, la microbiologie du vin ou encore la dégustation, dirige Valmis (Vin aliment microbiologie stress), l’une des trois équipes de l’unité mixte de recherche (UMR) Procédés alimentaires et microbiologiques (PAM) placée sous la double tutelle d’AgroSup Dijon et de l’université de Bourgogne, deux établissements membres d’Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC). Lors de la dernière édition d’Enoforum, initialement prévue à Saragosse mais qui s’est finalement tenue en visioconférence, l’un des projets encadrés par Hervé Alexandre a reçu l’award 2020. Ce prix prestigieux récompense un travail faisant le lien entre la recherche internationale et la production vitivinicole. « Nos travaux sur les micro-organismes nous ont amenés à nous intéresser aux phénomènes de bioprotection. On sait que la plupart des viticulteurs ajoutent des sulfites dans leur vin afin de le protéger des altérations microbiennes et de l’oxydation enzymatique et chimique. Le sulfite joue un rôle de conservateur. Mais il est aujourd’hui souvent critiqué : il existe une pression sociétale pour en réduire l’utilisation, pour diminuer les intrants. Et il est vrai que certaines personnes sont sensibles à la présence du SO2 dans le vin. Notre travail a donc consisté à identifier des micro-organismes capables de remplacer les sulfites. » La voie explorée par l’équipe Valmis (IUVV) a donc été celle de la microbiologie, à la différence de solutions alternatives reposant par exemple sur la pasteurisation ou la stérilisation des moûts. Une option couronnée de succès : « Nous avons isolé des micro-organismes, nous avons testé leur capacité à limiter le développement d’autres organismes, en laboratoire puis dans la cuverie du domaine de l’uB à Marsannay-la-Côte puis dans des domaines viticoles en France. Et ça marche. » Au point qu’une licence a été confiée à une société privée italienne qui produit et commercialise ces micro-organismes remplaçant les sulfites. L’award de l’Enoforum récompense en particulier la thèse produite sur ce sujet par Scott Simonin et encadrée par Raphaëlle Tourdot-Maréchal et Hervé Alexandre. Un succès d’équipe, associant universitaires et professionnels de la vigne. Succès qui en appelle d’autres : l’équipe se penche également sur un genre de levures d’altération, Brettanomyces, responsables d’odeurs désagréables, ou sur les bactéries lactiques présentes dans le vin afin d’améliorer leur résistance au stress.