Emmanuelle Vennin - Des pièges à carbone pour sauver le climat - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Emmanuelle Vennin – Des pièges à carbone pour sauver le climat

Emmanuelle Vennin / © Patrice Bouillot - La Plume & le Micro
Les carbonates nous en apprennent beaucoup sur l’histoire de la Terre. Ils sont peut-être aussi une partie de la solution dans la lutte contre le réchauffement climatique. Au laboratoire de Biogéosciences d’Université Bourgogne Franche-Comté, Emmanuelle Vennin, lauréate du prix Johannes Walthers 2020 de l’association internationale de sédimentologie, planche sur ces minéraux qui pourraient sauver la planète.

À l’âge de sept ans, Emmanuelle Vennin eut la chance d’entreprendre, avec ses parents, un voyage aux États-Unis dont elle ramena un souvenir inoubliable : la découverte du Grand Canyon du Colorado. Dès lors, sa passion pour la géologie et plus globalement pour les choses de la nature ne cessera de se développer. Elle est aussi bien fascinée par les fossiles que par la volcanologie. Et naturellement, à l’heure de choisir sa voie, c’est vers la géologie que s’oriente cette Franco-Belge, à l’université de Bruxelles pour sa maîtrise, à Lille pour son DEA. Sa thèse l’entraîne en Russie, où elle étudie les « dépôts bioconstruits carbonatés datant du Paléozoïque » que l’on trouve dans l’Oural – un projet qu’elle mène avec les universités de Moscou, d’Ekaterinbourg et de Lille, et avec l’appui d’Elf-Aquitaine, intéressé par ces roches réservoirs d’hydrocarbures à un moment où l’économie russe s’ouvre au monde. L’industriel l’accueille ensuite pour un post-doc dans la géologie pétrolière. Mais Emmanuelle Vennin choisit finalement le monde académique : elle est recrutée comme maître de conférences par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), qui lui confie pendant sept ans la responsabilité des collections de son laboratoire de géologie et où elle continuera ses recherches sur les dépôts carbonatés bioconstruits. À 36 ans seulement, en 2005, la chercheuse décroche un poste de professeure à l’université de Bourgogne (uB). Elle poursuivra ses recherches, au sein de l’unité mixte de recherche (UMR) de Biogéosciences, portée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC) via l’uB et l’École pratique des hautes études (EPHE). « Nous travaillons ici sur la production carbonatée, nous cherchons à reconstituer les paléo-paysages, à comprendre le paléo-environnement, en étudiant des dépôts très anciens, remontant à plusieurs centaines de millions d’années. » Beaucoup de projets sont cofinancés, dans le cadre de « partenariats gagnant-gagnant », par l’industrie pétrolière, en particulier par Total. Ce qui intéresse plus spécialement Emmanuelle Vennin, ce sont « les processus ». Elle tente de déterminer comment les communautés vivantes ont changé, comment elles ont contribué, par leur production carbonatée, aux évolutions de leur environnement, à différentes périodes de la vie de la Terre.

Les pierres exposées dans son bureau de la faculté de sciences Gabriel, à Dijon, racontent l’épopée du globe. Des micro-organismes d’un autre temps y ont laissé des traces qui permettent de comprendre comment, à une époque lointaine, ils ont participé à l’oxygénation de l’air par la photosynthèse et surtout comment ils ont stocké du carbone. « On ne peut pas comprendre le rôle qu’ont joué les micro-organismes dans la précipitation des carbonates si l’on n’étudie pas tous les aspects de la question : l’environnement, le développement et le fonctionnement des bactéries… » Il fallait donc constituer une équipe pluridisciplinaire, rassemblant des compétences en géomicrobiologie, en sédimentologie et en géochimie. Dans le cadre du projet I-SITE porté par UBFC, un chercheur américain, Pieter Visscher, a été accueilli au sein de l’UMR Biogéosciences pendant trois ans pour plancher avec les chercheurs français sur ces carbonates, véritables pièges à carbone dont l’intérêt apparaît comme crucial à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique. « Certaines bactéries et certains microbes peuvent, par des processus très rapides, en quelques heures seulement, induire une précipitation carbonatée, stocker du CO2 et ainsi agir sur la qualité de notre environnement », résume Emmanuelle Vennin. Imaginons : un cocktail de micro-organismes capable de transformer le dioxyde de carbone, voire d’autres gaz polluants, en minéral, en quelques heures seulement ! Encore faut-il trouver la composition dudit cocktail et comprendre son évolution. C’est là tout l’enjeu de l’étude des tapis microbiens que l’on trouve au fond des rivières, des lacs ou des océans. « En laboratoire, nous sommes capables de déterminer quels microbes, grâce à leur métabolisme, agissent le plus efficacement pour précipiter le carbone. Nous avons découvert aussi que certains utilisent l’arsenic comme un catalyseur pour leur photosynthèse. Avec, à la clé, des applications envisageables dans l’industrie chimique, où l’enjeu est de stocker les polluants. »

L’Association internationale de sédimentologie a attribué à Emmanuelle Vennin le prix Johannes Walthers, qui récompense l’ensemble de ses travaux de recherche tout au long de sa carrière. La chercheuse ne manque jamais de rappeler que rien n’aurait été possible sans équipe. Et que l’enjeu fondamental reste le volet enseignement de son métier : « Le plus important, c’est de transmettre sa passion aux étudiants. À nos jeunes, nous apportons des connaissances mais nous leur donnons surtout les clés pour que, demain, ils agissent pour la vie sur la planète ».