Christophe Thomazo, à la recherche de la Terre primitive - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Christophe Thomazo, à la recherche de la Terre primitive

Christophe Thomazo / © Patrice Bouillot - La Plume & le Micro
Maître de conférences en géochimie, chercheur au sein de l’UMR Biogéosciences d’UBFC, Christophe Thomazo a fait son entrée à l’Institut universitaire de France en 2020 comme membre junior. Dans le cadre de ses travaux, il cherche à comprendre les mécanismes en œuvre sur Terre il y a deux ou trois milliards d’années, au moment où la vie apparut sur notre planète.

Il y a, dans le bureau de Christophe Thomazo, à la faculté de sciences Gabriel sur le campus de Dijon, une belle et étrange pierre noire. Elle est striée, comme parcourue de vagues au milieu desquelles apparaissent des formes rondes. Des formes que le néophyte trouvera juste jolies mais qui constituent, pour le spécialiste en biogéosciences, un précieux sujet d’étude. Cette pierre, Christophe Thomazo l’a ramenée d’un voyage scientifique en Afrique du Sud. Elle date de 2,5 milliards d’années. À l’époque, la Terre est une planète pour le moins inhospitalière : l’air y est irrespirable, la température moyenne s’élève à 70 degrés et la vie se résume à la présence de micro-organismes. Mais ces micro-organismes vont peu à peu réaliser la photosynthèse qui apportera oxygène à l’atmosphère et permettra donc l’apparition de la vie telle que nous la connaissons. Ils ont laissé des traces sur des pierres aussi rares qu’anciennes, et ce sont ces traces qu’étudient Christophe Thomazo et ses collègues de l’unité mixte de recherche (UMR) Biogéosciences, sous la double tutelle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et d’Université Bourgogne-Franche-Comté (UBFC). L’équipe identifie les quelques sites de la planète où affleurent ces fossiles, témoignages de ce que fut la Terre primitive. « Nous allons les chercher en Afrique du Sud, en Australie, au Canada ou en Groenland. Un de nos étudiants analyse actuellement des roches dans des lacs de cratères au Mexique. Pour réaliser nos opérations de terrain, nous nous appuyons sur nos collègues d’universités locales, avec lesquelles nous sommes en partenariat, par exemple l’université de Johannesburg. » Une fois à Dijon, ces vieilles pierres venues d’un autre temps font l’objet d’un long travail de caractérisation : description macroscopique, observation au microscope de tranches de 30 microns d’épaisseur, broyage pour analyses chimiques, spectrométrie de masse pour identifier leur composition, … « On peut ainsi comprendre les mécanismes qui se sont joués à l’époque, comme l’oxygénation de l’air ou l’émergence du fer, fortement présent dans ces minéraux », explique Christophe Thomazo. Les avancées qu’ont permises son travail lui ont valu d’entrer en octobre 2020 à l’Institut universitaire de France (IUF), comme membre junior. Il est le seul enseignant-chercheur d’UBFC à entrer cette année à l’IUF, où il rejoint 34 de ses collègues de Bourgogne-Franche-Comté.

Ce chercheur de 39 ans est en poste à l’université de Bourgogne (uB) depuis 2010. Il avait précédemment mené des études de géologie à Paris VII et obtenu un DEA en géochimie fondamentale. Sa thèse, réalisée à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), portait sur la caractérisation des environnements et de la vie primitive sur Terre grâce à des sédiments datant de plusieurs milliards d’années. Après un post-doc à Münster, en Allemagne, dans le laboratoire du professeur Harald Strauss, ce spécialiste originaire de Fontainebleau pose donc ses valises à Dijon, où le laboratoire Biogéosciences souhaitait développer l’activité de géochimie isotopique. À la croisée de la géologie et de la biologie, de l’étude du vivant et de la roche, Christophe Thomazo cherche à établir la « signature » de chaque morceau de notre planète pour tenter de découvrir ce qu’il s’est passé à une période encore méconnue, entre – 3,5 et – 2 milliards d’années. « Notre stratégie consiste à étudier ces reliques, ces vestiges de cette époque lointaine, pour comprendre l’évolution de la vie sur Terre. Dans ces roches très anciennes, on trouve en effet de la matière organique (carbone, azote, oxygène) dont on cherche à savoir si elle fut associée à du vivant. Mais beaucoup de questions restent sans réponse à ce jour. Par exemple, nos modèles ne parviennent pas à expliquer le phénomène de glaciation survenu après l’oxygénation de l’air, peut-être lié au fait que l’oxygène aurait détruit le méthane qui est un gaz à effet de serre. » L’équipe de Christophe Thomazo a déjà obtenu des résultats significatifs. Elle a par exemple montré les liens entre le cycle du carbone, celui du soufre et celui de l’azote, dès 2,7 milliards d’années, prouvant que le système océan-atmosphère était déjà largement influencé par le vivant. « On commence à comprendre comment les organismes vivants parviennent à se maintenir, à générer durablement leurs propres équilibres, dans des environnements parfois très défavorables. » La question de savoir « pourquoi » la vie s’est ainsi développée sur Terre a effleuré plus d’une fois l’esprit du chercheur, mais elle relève de la métaphysique. Christophe Thomazo, lui, aspire à retourner sur le terrain. Cet été au Groenland pourquoi pas. Et il ne cache pas qu’il est « très excité » de faire partie des chercheurs terriens qui auront à analyser les premiers échantillons qui seront ramenés de la Planète rouge à l’issue de la mission Mars 2020 menée conjointement par la NASA et l’Agence spatiale européenne (ESA).