Un pays fracturé pour un second tour incertain - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Un pays fracturé pour un second tour incertain

Comme on pouvait s’y attendre, le scrutin du 10 avril n’a pas purgé la situation provoquée par l’irruption d’Emmanuel Macron en 2017 dans la porcelaine fragilisée du système des partis. Au contraire. Loin de stabiliser un nouvel ordre politique, il dévoile un paysage lunaire incertain d’où semblent exclus, à droite comme à gauche, les vieux partis de gouvernement : il y a cinq ans, avec un Benoît Hamon à 6,36 %, c’est le Parti socialiste qui prenait le chemin de la sortie ; voici le tour des Républicains de sombrer, écartelés entre Emmanuel Macron et Éric Zemmour, et qui se retrouvent en dessous de la barre des 5 %. Pendant que le PS, dépassé par Jean Lassalle et Fabien Roussel, réalise le score le plus faible de son histoire à moins de 2 %.

Terrible descente aux enfers dans une France à deux vitesses où, paradoxalement, les partis qui restent les maîtres du jeu au plan local se voient décapités au plan national !

Triangulation meurtrière

Faute d’avoir réformé les institutions politiques en revitalisant l’équilibre des pouvoirs et en ouvrant les conditions d’une pleine représentation démocratique, on a laissé l’implacable mécanique de l’élection présidentielle faire son œuvre de guillotine sèche, dans une atmosphère où la colère et la peur se disputent à la résignation.

Entre les siphonnages croisés, à base de vote utile ou de vote refuge, et le vote protestataire, la vieille bipolarisation droite/gauche a fait long feu.

L’heure est à l’agglomération des électeurs autour de trois pôles : un pôle d’extrême droite, fort de ses 32,29 % et qui gagne 1,6 million de voix par rapport à 2017 ; un pôle de gauche radicale, autoproclamé par Mélenchon unité populaire, avec 22 % ; un pôle central autour du président sortant, qui rassemble 27,84 % des suffrages.

Autour de ce dernier, isolé au milieu des terres de sables mouvants, un habitat dispersé pour les lambeaux des partis non-alignés sur les pôles : Roussel, Jadot, Pécresse, Hidalgo ne totalisent à eux quatre que 13,45 % (4 727 073 suffrages). À elle seule, Valérie Pécresse, tombant à 1 679 470, perd 5 533 525 des voix réunies par François Fillon.

Les Républicains, pris en tenaille entre l’extrême droite et Emmanuel Macron, font donc particulièrement les frais du naufrage : ils ont été victimes du siphonnage par ces deux pôles. Une mésaventure du même genre est arrivée aux écologistes et aux socialistes, victimes collatérales des sirènes du vote utile chantées par Jean-Luc Mélenchon.

Défaites spectaculaires

Dans ce jeu de vases communicants, certaines défaites sont particulièrement spectaculaires : des douze candidats, seuls trois émergent au-dessus de 20 %, tandis que neuf sont en dessous de la barre des 10 % et huit au-dessous de celle des 5 %. Et près de 15 points séparent le quatrième du troisième ! Étrange déconnexion d’un champ politique en pleine recomposition, dont on saisit difficilement la cohérence avec le paysage politique local. Souvenons-nous qu’en 2017, les quatre premiers candidats se tenaient dans un mouchoir de poche…

Jean-Luc Mélenchon peut se targuer d’un score plus élevé que le laissaient attendre les sondages, quoique moins important sans doute qu’il ne l’espérait : avec 21,95 %, il progresse de 655 000 voix par rapport à 2017 (+5,97 %). L’apport d’un vote utile d’écologistes et de socialistes ne suffit pas à compenser le handicap causé par la présence de son ancien allié communiste, qui a cette fois fait cavalier seul : il échoue de 421 000 voix à dépasser Marine Le Pen.

Emmanuel Macron, de son côté, réussit à franchir le cap en tête, précédant de près de quatre points sa principale rivale. Avec 27,84 % des suffrages, il améliore de plus de 1 130 000 voix son score de 2017 (+13 %). Quant à Marine Le Pen, avec 23,15 % elle réussit, par une habile utilisation du vote utile, à surmonter le handicap d’une candidature Zemmour et progresse de plus de 450 000 voix par rapport à la précédente élection (+5,96 %).

Les reports de voix

Le chemin du second tour est semé d’incertitudes et d’embûches. Car la partie qui va se jouer est doublement complexe. Il y a, bien sûr, la désignation de l’occupant du fauteuil présidentiel. Mais au-delà, il y a la question de l’efficience des institutions et leur capacité à répondre aux attentes d’un pays profondément divisé et fracturé.

Le résultat du premier tour laisse planer une fausse clarté sur l’issue du second. Cette cristallisation tripolaire antagoniste freine ce qui est un des deux éléments essentiels de la dynamique d’un second tour : les reports de voix.

Marine Le Pen semble n’avoir aucune inquiétude à se faire de ce point de vue, la texture du vote d’extrême droite étant homogène et les deux autres candidats de son camp, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, appelant sans surprise et sans condition à voter pour elle. Elle peut de surcroît, au vu de l’attitude du numéro 2 de la primaire LR, Éric Ciotti, partisan d’une droite dure, espérer une part des voix recueillies par Valérie Pécresse.

Et cerise sur le gâteau, dans le cadre d’une sorte de « tout sauf Macron », elle pourrait bénéficier de certains suffrages de Jean-Luc Mélenchon bien que ce dernier a appelé à plusieurs reprises dimanche soir à ne « pas donner une seule voix » à l’extrême droite sans pour autant donner une consigne en faveur d’Emmanuel Macron.

 

Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.