Sur les traces de l’arsenic pour retrouver la Terre primitive - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Sur les traces de l’arsenic pour retrouver la Terre primitive

[Publié le 19 octobre 2021]

Le géomicrobiologiste utilise des électrodes pour évaluer les teneurs en oxygène.
CC BY-NC-ND

Cet article est publié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (qui aura lieu du du 1er au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 15 novembre 2021 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Eureka ! L’émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

Un monde aquatique et minéral résultant d’une importante activité volcanique et hydrothermale : voilà à quoi ressemblait le paysage de notre planète au début de son histoire. Un monde sans oxygène libre dans les océans et l’atmosphère qui dura plus de 1,3 milliard d’années (Ma).

Dans un tel contexte, l’apparition de la vie sur Terre – notre planète ayant été colonisée très tôt dans son histoire, comme en témoigne la découverte de micro-organismes fossiles avérés dès 3,7-3,5 Ma – est une question prégnante et récurrente.

Les bactéries et les archées, organismes unicellulaires sans noyaux différenciés, forment les acteurs biologiques qui ont évolué et contribué à la modification de leur environnement.

Ces organismes ont proliféré dans des environnements très différents de ceux qui caractérisent notre planète aujourd’hui. Alors que depuis ces derniers 2,5-2,4 Ma, la vie est liée à l’oxygène, les micro-organismes primitifs ont évolué sans cet élément.

Comment ont-ils pu vivre dans de telles conditions ?


Les mécanismes de la vie primitive

Depuis 2,5 Ma, les organismes photosynthétiques, comme les plantes et les cyanobactéries, utilisent la lumière du soleil, l’eau et le dioxyde de carbone pour produire de l’oxygène et de la matière organique. Ils transforment ainsi l’énergie du soleil en énergie utilisable par la vie. D’autres organismes respirent de l’oxygène en digérant du carbone organique obtenant ainsi de l’énergie pour leur respiration.

Les microbes primitifs captaient également l’énergie de la lumière du soleil, mais leurs métabolismes ancestraux ne leur permettaient pas de fabriquer de l’oxygène à partir de l’eau ou d’utiliser l’oxygène pour la respiration.

Ils avaient besoin d’un autre élément chimique pour se développer. Seuls quelques éléments candidats, provenant souvent des sources hydrothermales et de l’activité volcanique, étaient alors disponibles : l’hydrogène (H), le soufre (S), le fer (Fe) et l’arsenic (As).

Parmi les éléments disponibles en abondance dans le registre fossile, l’As est un candidat privilégié.

L’observation des communautés microbiennes est possible, car ces dernières forment des minéraux dont la cimentation et l’agrégation érigent des structures organo-sédimentaires nommées « stromatolites ». C’est au sein de ces structures biominérales qu’il faut chercher les indices de l’activité métabolique des micro-organismes.

En Australie (formation de Tumbiana), stromatolites datant de 2,72 milliards d’années au sein duquel des traces d’arsenic ont été retrouvées.
C. Thomazo


L’arsenic, un élément vital

Alors que la découverte de l’utilisation de l’As pour la respiration des bactéries remonte aux années 1990, c’est en 2008, qu’une équipe américaine a démontré la capacité des bactéries à utiliser l’As pour pratiquer une photosynthèse anoxigénique dans le lac Mono en Californie.

En 2014, une équipe menée par Pascal Phillipot de Institut de Physique du Globe (Paris) a trouvé des indices de photosynthèse et de respiration assistés par l’As dans des stromatolites de l’ouest de l’Australie.

Ces stromatolites vieux de 2,72 Ma se sont formés dans un lac ou une lagune peu profonde, jonchés de cheminées hydrothermales. L’analyse détaillée des échantillons de roche a d’abord montré que l’As était l’élément dominant pour la vie primitive. Toutefois, l’individualisation de deux types d’As (As3+, arsénite et As5+, arséniate) est nécessaire et leur présence pourrait certainement être le signe que la vie utilisait l’As pour la photosynthèse et la respiration.

Toutefois, les limites du registre fossile invitent à analyser des communautés microbiennes actuelles afin de tester cette hypothèse. Le métabolisme basé sur l’As existe-t-il encore de nos jours ?


Le présent pour mieux comprendre le passé

Cette hypothèse était alléchante, mais nous voulions davantage de preuves. Aucune communauté microbienne vivant dans un endroit dépourvu d’oxygène n’avait été trouvée jusqu’à présent.

En 2020, nos recherches se sont portées sur la lagune de La Brava au Chili, un lac peu profond et hypersalin situé au milieu du désert. C’est dans un ruisseau qui alimente ce lac qu’a été observée une communauté microbienne aux couleurs pourpres. Ce ruisseau, connecté à une source d’eau souterraine volcanique, est riche en As, S et Li (lithium), mais dépourvu d’oxygène.

Tapis microbiens (couleur violette) de la lagune de La Brava (Chili).
CC BY-NC-ND

Cet environnement est soumis à de nombreuses fluctuations de saturation des éléments et sa situation en altitude l’expose à un rayonnement UV 25 fois supérieur à celui enregistré au niveau de la mer.

Toutes ces conditions en font un analogue potentiel des communautés primitives peuplant notre planète au début de son histoire. Les mesures sur le terrain de la chimie de l’eau et au sein du tapis microbien, nuits et jours et en toutes saisons, n’ont jamais montré la présence de l’oxygène.

De retour au laboratoire, nous avons confirmé que le S et l’As étaient abondants. En observant les tapis microbiens au microscope, nous avons individualisé des bactéries photosynthétiques violettes alors que les cyanobactéries productrices d’oxygène étaient étrangement absentes. Nous avons également recueilli des échantillons d’ADN du tapis et trouvé des gènes impliqués dans le métabolisme de l’As.

De nouvelles expériences ont ensuite montré qu’en ajoutant de l’As au tapis microbien et en l’exposant à la lumière, la photosynthèse avait bien lieu.

De même, l’ajout de matière organique a mis en évidence la respiration par consommation de l’As. Cependant, il restait à montrer que les deux types d’As (As3+ et As5+), comme ceux retrouvés dans les échantillons fossiles d’Australie, pouvaient être détectés dans les stromatolites actuels chiliens.

Andrea Somogyi (Synchrotron Soleil) et Pascal Phillipot ont utilisé une technique d’émission de rayons X à l’aide d’un rayonnement synchrotron pour produire des cartes chimiques et ont confirmé la présence d’un cycle actif (photosynthèse et respiration) de l’As (l’As3+ et de l’As5+ coexistaient au sein d’une même cellule) en l’absence d’oxygène. Cela valide l’idée que les échantillons fossiles australiens étudiés en 2014 contenaient des preuves d’un cycle actif de l’As à l’Archéen.


Le métabolisme de l’arsenic, précieux indice

Cette hypothèse démontrée, notre équipe a continué ses investigations à l’aide du synchrotron. D’autres systèmes microbiens lacustres actuels (Grand Lac Salé, USA) et fossiles (Auvergne, il y a un peu plus de 20 millions d’années), mais également marins (Cuba, actuel) offrent des évidences de la présence d’As et ouvrent de nouvelles perspectives de recherche.

Dépôts microbiens actuels du Grand Lac Salé (USA) renfermant des traces d’arsenic.
CC BY-NC-ND

Le métabolisme de l’As comme un indice de vie possible sur Terre représente un enjeu crucial de la compréhension de l’émergence de la vie sur Terre.

La lagune La Brava nous a ouvert une fenêtre sur la compréhension des métabolismes des bactéries. Les conditions extrêmes qui règnent aujourd’hui dans le désert de l’Atacama semblent proches de celles de notre Terre primitive et pourraient ressembler à celles d’autres planètes comme Mars, par exemple.

Même dans les conditions qui nous semblent les plus difficiles, la vie trouve un chemin. C’est ce chemin que nous cherchons à comprendre.


Emmanuelle Vennin, Professeur en géologie (sédimentologie des carbonates), Université de Bourgogne – UBFC et Pieter Visscher, Professor of Marine Sciences, University of Connecticut

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.