Pourquoi les lunes de Saturne sont-elles si différentes les unes des autres ? - COMUE Université Bourgogne-Franche-Comté

Pourquoi les lunes de Saturne sont-elles si différentes les unes des autres ?

[Publié le 14 octobre 2021]

Titan et Encelade, deux lunes de Saturne : à gauche, image de Titan recomposée à partir de 13 ans de données infrarouges de la sonde Cassini (NASA/JPL-Caltech/University of Nantes/University of Arizona). À droite, image en fausses couleurs d’Encelade, du côté opposé à Saturne, prise par Cassini en 2005 (NASA/JPL/Space Science Institute). Elsa Couderc à partir de NASA/JPL-Caltech/University of Nantes/University of Arizona et NASA/JPL/Space Science Institute, CC BY

En plus d’être l’une des plus fascinantes planètes avec ses impressionnants anneaux, Saturne abrite plus de 80 lunes, dont Encelade et Titan. Ces lunes sont de composition différente : Encelade est entièrement recouverte de glace d’eau, tandis que Titan abrite une atmosphère de méthane et de diazote. D’où vient cette variété ?

Pour le comprendre, il faut explorer comment ces lunes se sont formées. À défaut d’une machine à voyager dans le temps, les chercheurs simulent le processus avec des modèles numériques.

Comment fabriquer une lune ?

Notre système solaire s’est formé il y a environ 4,5 milliards d’années à partir d’un nuage dense de gaz et de poussière. Le nuage s’est effondré, formant une nébuleuse solaire – un disque de matière en rotation et tourbillonnant.

Au centre, la gravité a attiré de plus en plus de matière, jusqu’à ce que, finalement, la pression dans le noyau soit si grande que les atomes d’hydrogène commencent à se combiner et à former de l’hélium, libérant une énorme quantité d’énergie et donnant naissance au soleil. Nous avons maintenant affaire à un disque d’accrétion en rotation autour de notre proto-étoile.

L’image la plus détaillée d’un disque proto-stellaire, autour de l’étoile HL Tau, acquise par le télescope ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) dans le désert de l’Atacama au Chili.
ALMA/NRAO/ESO/NAOJ, CC BY

Ce disque est composé de grains de matière qui s’agglutinent sous l’effet de la force électrostatique pour former petits blocs de quelques kilomètres. Ces blocs, appelés « planétésimaux », peuvent entrer en collision avec d’autres pour former graduellement des objets de plus en plus gros. Certains d’entre eux deviennent suffisamment gros pour que leur gravité prenne le dessus et attire de plus en plus de matière, les façonnant en sphères et formant des planètes.

En même temps, ce processus avait lieu à plus petite échelle autour des planètes elles-mêmes, formant une multitude de lunes. Les « restes » qui ne pouvaient aboutir à des objets suffisamment gros sont devenus nos astéroïdes et nos comètes – ou peuvent constituer des anneaux autour des planètes les plus grosses.

Mais ce n’est pas n’importe quelles molécules qui vont former ces planètes ou ces lunes : leur composition dépendra de quelles molécules sont disponibles, et cette disponibilité dépend de la température, donc de leur distance au soleil. La température de ces disques diminue au cours du temps, et à fur et à mesure que l’on s’éloigne du corps chaud au centre. Chaque type de molécule a un comportement différent : à une certaine température, elle sera trop froide pour rester sous l’état gazeux, et passera à l’état solide (sautant l’état liquide), devenant de la glace.

L’endroit où la température force cette transition est appelé « ligne de glace » : c’est la distance au corps central qui détermine si une espèce moléculaire existe sous forme solide ou gazeuse. Chaque molécule a sa propre température de transition, et donc sa propre ligne de glace.

Près du soleil, le disque est trop chaud pour que les molécules volatiles telles que l’eau ou le méthane puissent rester sous l’état solide, et ces molécules ne viendront former les planétésimaux qu’au-delà de leur ligne de glace. C’est pour cela qu’il existe une grosse différence de composition entre les planètes internes – les plus proches du soleil qui sont rocheuses et sont dites « telluriques » (Mercure, Venus, la Terre, et Mars) – et les planètes externes, qui sont des « géantes gazeuses » (Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune). La ligne de glace de l’eau a sculpté ces deux populations, se trouvant entre elles au moment de la formation de ces corps.

Les lignes de glace successives définissent la composition des planètes autour de leur étoile.
© Artyom Aguichine, Olivier Mousis, Bertrand Devouard, Thomas Ronnet, Fourni par l’auteur

On peut imaginer cette nébuleuse comme un gros seau de matière et d’eau pour appréhender pourquoi les éléments lourds « coulent » plus vite vers le bas que les petites particules laissées en suspension. La même chose s’est passée dans ces nébuleuses : les éléments lourds comme le fer, le nickel, et les roches silicates s’approchent du corps lourd central, attiré par la gravité, tandis que les éléments légers sont restés à l’extérieur de la ligne de glace, empêchés par l’eau sous forme gazeuse qui gênait leur approche et les gardaient à l’extérieur.

Et autour de Saturne ? Nous pensons que la même chose s’est produite : la composition des lunes aurait été sculptée par ces lignes de glace.

Donc, nous avons besoin de trouver les fameuses lignes de glace de chaque molécule concernée afin de comprendre la formation de ces lunes si différentes.

Un mini-système planétaire entièrement numérique

Nous remplissons un espace virtuel avec tous les ingrédients qui composent ces lunes : de la glace d’eau, du monoxyde de carbone, du méthane et du diazote. Avec ces ingrédients en place, nous appliquons les lois de la gravitation ainsi que les lois thermodynamiques, et nous déclenchons le temps : notre simulation regarde la position des éléments, la température et la pression du disque, puis calcule où se trouveront ces éléments dans un pas de temps en plus, ce qui permet d’estimer l’évolution du disque dans le temps. Pour correspondre à ce que nous voyons dans les lunes aujourd’hui, les éléments de base devaient provenir d’un emplacement entre les lignes de glace de monoxyde de carbone et de diazote à leur limite extérieure, et la ligne de glace du méthane comme limite intérieure.

Les lignes de glaces de différentes molécules autour de Saturne (qui chauffe, elle aussi, bien moins que le Soleil mais tout de même), et la position de Titan et Encelade.
Sarah Anderson, Fourni par l’auteur

Cependant, au cours de nos simulations, Saturne dévorait tellement rapidement toutes les particules quelle ne laissait pas le temps aux poussières de grossir suffisamment pour bâtir des lunes. Nous avons dû sans cesse réapprovisionner les systèmes en nouveaux solides pour former les lunes.

À la fin de cette dernière simulation, nous avons regardé où se trouvaient ces lignes de glace, et bien sûr où se trouvent les « blocs de construction » de nos lunes : ceux-ci sont à la fin de la simulation plus externes que la position réelle des lunes actuelles. Cela ajoute à la théorie selon laquelle Titan s’est peut-être formé plus loin et a dérivé vers l’intérieur au cours des millénaires.

Encelade et les anneaux de Saturne

Étant donné qu’Encelade est trop petit pour gérer le stress d’un tel voyage (il aurait notamment été déchiré par des forces de marées), il semble plus probable qu’il se soit formé beaucoup plus tard que Titan, peut-être à partir de la même catastrophe cosmique qui a formé les anneaux de Saturne, si ce scénario est exact.

En effet, les anneaux de Saturne sont constitués de milliards de petits morceaux de glace et de roche recouverts d’autres matériaux tels que la poussière. Initialement, les astronomes pensaient que ce sont des morceaux de comètes, d’astéroïdes ou de lunes qui se sont brisés avant d’atteindre la planète, déchirés par la puissante gravité de Saturne. Mais une théorie basée sur la visite de la sonde Cassini (entre 2004 et 2017) veut que ces anneaux soient beaucoup plus jeunes que Saturne. Les anneaux auraient des millions d’années, et non des milliards, ce qui suggère qu’un événement catastrophique aurait détruit toutes les lunes de glace (type Encelade) : celles que nous voyons aujourd’hui sont une deuxième génération.

Seule une autre mission à Saturne pourrait fournir plus de détails et apporter de la précision à ces résultats. La dernière, Cassini-Huygens, ayant fini en 2017, nous a apporté une quantité énorme de données ; nous les étudions encore. Mais il faudra attendre un moment pour qu’une prochaine sonde soit envoyée vers le système saturnien.

Sarah Anderson, Doctorante, Université de Franche-Comté – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.