Pourquoi Volodymyr Zelensky est en train de gagner la guerre de la communication

Depuis l’attaque de l’Ukraine le 24 février 2022 par l’armée russe suite à la décision belliqueuse prise de façon unilatérale et sans aucune justification acceptable par le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, le monde entier assiste médusé – par le biais des médias – à une véritable guerre d’occupation qui se déroule de façon quasiment synchrone sur un double terrain : militaire et stratégique d’une part, communicationnel d’autre part.
À l’occasion de cette effraction, un personnage politique jusqu’alors quasiment inconnu en dehors de son pays a émergé sur la scène internationale et est parvenu à s’imposer très rapidement comme un chef d’État comptant pleinement dans le concert des nations.
Un bouffon devenu roi
Acteur et humoriste ayant incarné dans la série télévisée Serviteur du peuple un professeur d’histoire devenu président de la République, Volodymyr Zelensky s’est lancé en politique sans aucune expérience antérieure et a été élu à la surprise générale avec 73,2 % des voix contre le président sortant Petro Porochenko en mai 2019. La fiction télévisuelle a constitué une préfiguration de l’ascension politique fulgurante d’un candidat ayant convaincu en dehors de tout système partisan.Une guerre de l’image
Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, Volodymyr Zelensky se singularise fortement par rapport à son adversaire direct, tant par son attitude que par ses stratégies de communication qui dénotent par rapport à celles de Vladimir Poutine.
C’est autant une guerre de génération qu’une guerre de l’image et de la communication. Là où le président ukrainien s’affiche comme un leader martial en uniforme militaire pour mener la lutte et l’incarner, Vladimir Poutine adopte quant à lui un ethos vestimentaire beaucoup plus classique et strict (un costume cravate en l’occurrence et une impassibilité/impavidité systématique lorsqu’il évoque cette situation). Le contraste est des plus saisissants entre deux imageries du pouvoir politique qui s’opposent, entre deux mises en scène de la puissance politique, entre deux visions de l’autorité et du charisme des chefs politiques.
AFP
Vladimir Poutine trône en complet-veston dans une immense salle (la salle Sainte-Catherine du Kremlin) au sein de laquelle l’importante distance physique et symbolique qu’il établit avec ses conseillers et ministres ne peut que surprendre et interroger d’un point de vue proxémique. Cette distanciation physique, sociale et symbolique est le signe d’une autorité qui met à distance même ses plus proches collaborateurs. On se croirait revenu aux pires heures de la guerre froide en ex-URSS. D’aucuns y verraient à juste titre l’isolement d’un chef d’État qui s’est enfermé dans « sa guerre » et dans sa vision alternative de la réalité.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky multiplie quant à lui, pour imposer sa singularité et soigner les mises en scène de sa parole, les poses et les mises en scène le représentant autour de ses hommes, dans la posture d’un chef de guerre respecté et admiré par ses soldats.
Une guerre de la communication
L’ethos vestimentaire strict de Vladimir Poutine est celui des chefs d’État, mais aussi celui des « méchants « de films d’espionnage ou d’action. Dans un souci de différenciation, Volodymyr Zelensky a dès l’entame de ce conflit choisi de se filmer parmi la population de Kiev vêtu du t-shirt kaki qu’il ne quitte plus lors de ses différentes interventions en vidéo sur les réseaux socionumériques.
C’est un acteur expérimenté qui met à profit son ancien métier pour parvenir à une « captatio benevolentiae » (à une recherche de la bienveillance de l’auditoire). Il se filme pour ce faire en mode selfie, à hauteur d’homme, pour conférer à ses interventions via les supports numériques une apparence de conversation les yeux dans les yeux avec son peuple, d’une part, et avec la communauté internationale d’autre part.
Le spectateur se sent pleinement concerné par la communication du président/résistant/chef de guerre Volodymyr Zelensky, qui lui donne l’impression de s’adresser à lui et à lui seul à travers ces vidéos en mode portrait en pied ou buste. Les vidéos en mode selfie établissent une connivence et une proximité émotionnelle avec les spectateurs, qui sont à la fois destinataires immédiats et témoins privilégiés des messages. Le cadrage de ces vidéos contribue à faire entrer les spectateurs dans une communauté de valeurs morales et d’intérêts (liberté, souveraineté nationale, intérêt supérieur européen, etc.).
Sur le plan communicationnel, l’opposition de styles est totale entre les présidents des deux pays voisins, Russie et Ukraine, et d’abord sur un plan générationnel et médiologique pour reprendre la terminologie de Régis Debray.
Si l’un (Vladimir Poutine) affectionne tout particulièrement les allocutions télévisées solennelles enregistrées depuis la salle de presse du Kremlin, l’autre (Volodymyr Zelensky) se singularise quant à lui par le choix de réaliser des vidéos dont le cadre et le contexte de production changent régulièrement (tantôt depuis le palais présidentiel, tantôt dans la rue aux côtés de soldats surveillant les check-points…).
Si les deux présidents s’inscrivent clairement dans ce que Régis Debray appelle la vidéosphère, l’ère de l’image mobile, les outils choisis pour s’exprimer témoignent d’une différence fondamentale sur le plan de la temporalité respective de la communication de Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. Si le premier privilégie les grandes allocutions télévisuelles solennelles enregistrées longtemps à l’avance, le second a une certaine dilection pour la communication en temps réel, quasiment synchrone et une présence quotidienne ou presque sur les réseaux sociaux. Si l’on ne peut pas présager de ce que sera l’issue de ce conflit sur le plan purement militaire, une chose est certaine : le président ukrainien est d’ores et déjà sorti vainqueur de la guerre de la communication et de l’image qui l’oppose au président russe.
Alexandre Eyries, Enseignant-chercheur HDR en Sciences de l’information et de la communication, Université de Bourgogne – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.